Essais nucléaires au Sahara, par Jean-Claude Rosso.
1/ La localité de REGGANE
Dans le Sahara occidental et au centre, la ville de REGGANE est située à 135 km à vol d'oiseau au Sud-est d'ADRAR et à 145 km par la route. Elle est également au Sud de COLOMB-BECHAR, éloignée de 700 Km.
Le SAHARA, qui recèle l'essentiel des ressources en hydrocarbures, est un désert formé de grandes étendues de dunes (Erg Oriental et Erg Occidental), de plaines caillouteuses (Regs) et parsemé d'oasis, qui sont autant de centres urbains comme les villes d'EL OUED, GHARDAÏA et DJANET.
Le massif des EGLAB à l'Ouest et le massif du HOGGAR à l'Est forment, pratiquement, la limite méridionale du Sahara Algérien.
Climat désertique sec et chaud
Entre ADRAR et REGGANE, les palmeraies, véritables oasis de verdure dans une immensité de sable ocre, se succèdent. Tout au long de la route, on constate la présence de palmeraies qui doivent leur existence à un ingénieux système d’irrigation, fruit de pratiques ancestrales et soigneusement entretenu. Ces canalisations souterraines — les « fogaras » — donnent vie à cet univers minéral. Les habitants du désert ont appris, de génération en génération, à préserver l’eau comme une grande richesse. À l’heure où le monde développé commence à prendre conscience de la nécessité de sauvegarder cette ressource indispensable à la vie, l’ingéniosité des « jardiniers » des palmeraies est à louer.
Cette région totalisait près de 8.000 habitants
2/ Recherches nucléaires
L’intérêt de l’armée française pour l’arme nucléaire débute en 1952. Il s’agit d’un intérêt limité à un petit cercle d’officiers, dont le plus célèbre est sans le général Charles AILLERET, qui considère le caractère résolument moderne de cette arme et les conséquences militaires découlant d’une telle novation. La pensée du général ne comporte pas réellement alors d’exposé d’une doctrine stratégique. Tout au plus, trouve-t-on une formulation rudimentaire du concept de ‘’dissuasion proportionnelle’’. Le contexte international de l’époque aidant et l’adoption en 1954, par l’OTAN, d’une doctrine visant à l’utilisation des armes nucléaires tactiques en cas d’agression des forces soviétiques en Europe apportera pour la France une incitation supplémentaire au développement de cette arme.
Au fur et à mesure de la lente gestation du programme, une structure se met en place au niveau des armées, au niveau du centre d’expérimentation atomique (CEA), et pour couronner l’ensemble en interface avec le niveau gouvernemental, de plus en plus réticent au parapluie américain. Elle aboutit dès 1958 à une organisation qui va perdurer.
C’est également en 1958 qu’est choisi le premier centre d’expérimentations, le site de REGGANE, outil indispensable au développement du programme.
Général d’armée Charles AILLERET (1907/1968) http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Ailleret
Il est, en 1958, commandant interarmées des armes spéciales et dirige les opérations conduisant, le 13 février 1960, à l’explosion de la première bombe A française à REGGANE.
3/ Expérimentations nucléaires militaires
Dès 1958, les autorités françaises ont construit, à une dizaine de kilomètres de la petite palmeraie de REGGANE, une base militaire capable d’accueillir près de 3 000 personnes avec toutes les infrastructures nécessaires aux expérimentations nucléaires prévues pour le début de 1960.
Il semble que l’installation et les travaux de la base militaire se sont faits d’autorité compte d’une priorité absolue de ce programme de défense nationale stratégique pour la France.
L’essentiel de la base CEA est imposant. La falaise laisse apparaître les entrées de quatorze galeries souterraines de dimensions impressionnantes, d’autant qu’elles ont été creusées pour durer. Les entrées ressemblent en tout point à celles des anciens tunnels de chemin de fer, soigneusement encadrées d’un bâti en pierres de taille apparentes. Il y a ici, en plein désert, la marque des spécialistes qui furent recrutés chez les mineurs du Nord de la France. La largeur des tunnels est telle qu’on devait aisément y circuler en voiture.
10 000 personnes venues de différentes régions ont travaillé à la construction de la base militaire à environ 7 kilomètres au Sud de REGGANE, réservée au commandement et aux experts chargés de l’ingénierie du projet.
A partir de 1960, année du premier essai nucléaire aérien, la France va utiliser successivement trois centres d’expérimentations :
-Celui de REGGANE où seront effectués les quatre premières explosions aériennes de faible puissance,
-Celui d’IN AMGUEL, dans le HOGGAR, où sera exécutée entre 1962 et 1966, une série d’essais souterrains de moyennes puissances,
-Le Centre d’Expérimentations du Pacifique (CEP) à compter de 1966.
Le Centre Saharien d’Expérimentations Militaires (CESM) fut le lieu des premiers essais des bombes atomiques françaises à partir du 13 février 1960. Le polygone de tir était situé à 50 km, au Sud-ouest, à HAMOUDIA ; 4 essais y ont officiellement eu lieu dont le premier, Gerboise bleue, atteignit 70 kT soit 4 fois la puissance de la bombe d'HIROSHIMA.
La base vie est à 15 km et, à 45 km au Sud-ouest le PC de tir et d'observation d' HAMOUDIA. Les tirs sont effectués à partir d'un pylône de 106 m qui supporte l'engin expérimental située à HAMOUDIA, à une cinquantaine de km au sud-ouest de REGGANE.
Liste des essais aériens
Date et nom de code
13 février 1960 Gerboise bleue 70 kt
1er avril 1960 Gerboise blanche moins de 5 kt
27 décembre 1960 Gerboise rouge moins de 5 kt
25 avril 1961Gerboise verte moins de 5 kt
[Panneau de danger en mauvais état à l'entrée du site d'essai nucléaire de la montagne Tan Affelah à Tamanrasset en 2010. Il signale le danger de cette zone toujours irradiée depuis les essais nucléaires français au début des années 60].
Après le dernier essai atmosphérique Gerboise verte, les 13 tirs souterrains qui suivirent furent effectués plus au Sud près d'IN ECKER, au Centre d'Expérimentations Militaires des Oasis (CEMO), dans le massif du HOGGAR.
Ces galeries se terminaient en colimaçon pour casser le souffle des explosions et étaient refermées par une dalle de béton. Elles devaient permettre un bon confinement de la radioactivité.
CERNAC : (Centre d'expérimentation militaire) pour les essais souterrains. La base vie est à AMGUEL et la base avancée à IN ECKER.
Du 07 novembre 1961 au 16 février 1966 treize essais souterrains pour la mise au point de la bombe au plutonium de 60 kT dans le massif du Tan AFFELA.
Le 1er mai 1962, lors du deuxième essai souterrain, un nuage radioactif s'est échappé de la galerie de tir. C'est l'accident de Béryl (du nom de code de l'essai).
De novembre 1961 à février 1966, treize tirs en galerie ont été effectués dont quatre n'ont pas été totalement contenus ou confinés.
Le CSEM et le CERNAC ont été fermés les 1er et 15 juin 1967.
Puits utilisé pour les explosions nucléaires souterraines Technique de confinement américaine expérimentée au Nevada. " Lors de l'explosion, les roches avoisinantes prenaient un mouvement radial, créaient la cavité liée au tir tout en écrasant la spirale, et faisaient ainsi disparaître la galerie d'accès. " - Yves Rocard, MEMOIRES sans concessions, Grasset 1988
Un champ de tir sommaire pour fusées-sondes fut édifié. Il fut utilisé pour des lancements de fusées Centaure (10 tirs entre le 6 décembre 1961 et le 24 juin 1965).
Les six premiers tests - dont quatre dans l’atmosphère - ont eu lieu à l’époque de l’Algérie française. Mais, lors des accords d’EVIAN mettant fin, en principe, à la guerre d’Algérie, le 18 mars 1962, le FLN a accepté, dans le cadre d’ « annexes secrètes», que la France puisse utiliser des sites sahariens pour des essais nucléaires, chimiques et balistiques pendant cinq années supplémentaires. Onze essais se sont ainsi déroulés après l’Indépendance du 5 Juillet 1962 et ce, jusqu’en février 1966. En 1967, « les sites ont été rendus aux autorités algériennes après démontage des installations techniques, nettoyage et obturation des galeries », assure le ministère de la Défense.(...) ».
Le Centre Saharien d'Expérimentations Militaires ne fut évacué qu'en 1967 suite aux Accords d'Evian signés avec le Général de GAULLE.
4/ INCIDENTS
Après l'accident du 25 avril 1961 (gerboise verte, ~5 kT qui eut lieu quelques jours après le "putsch des généraux") qui contamina 195 soldats lors d'un tir nucléaire en atmosphère dont la bombe n'explosa pas conformément aux directives, la France décida d'effectuer dorénavant ses tirs atomiques dans des galeries souterraines creusées dans les montagnes du désert du HOGGAR, notamment à IN ECKER près de REGGANE, dans le Sud-ouest Algérien. C'était une bonne manière
d'éviter toute contamination de l'environnement car toute la poussière dégagée au cours de l'explosion ainsi que les gaz radioactifs devaient ainsi être confinés dans le cône d'éboulis formé à l'intérieur de la chambre après l'explosion et devaient se fixer dans les roches, du moins en théorie.
1er mai 1962 - Code BERYL-
L'accident de BERYL (du nom de code de l'essai) est un accident nucléaire qui s'est produit le 1er mai 1962 lorsque la France réalisait son second essai nucléaire souterrain à IN ECKER, à 150 Km au Nord de TAMARASSET, dans le Sahara algérien, pour mettre au point sa bombe atomique. Tout est prévu pour que l'explosion soit confinée à l'intérieur de galeries creusées dans la montagne TAOURIT Tan AFFELA, l'un des massifs granitiques du HOGGAR. Le site est aménagé à partir de 1961 (aérodrome construit au Nord-est d'IN AMGUEL et base vie entre le village targui de IN-AMGUEL et le puits de IN-ECKER dont le bordj était alors contrôlé et occupé par les gendarmes). Une base dite DAM Oasis 1 puis Oasis 2 est alors construite de manière à ne pas être visible de la route à quelques kilomètres à l'Est du Tan AFELLA.
Mais un défaut de confinement a conduit à libérer des éléments radioactifs associés à des laves et des scories, ainsi qu'à des aérosols. Une centaine de personnes ont été exposées à une dose supérieure à 50 mSv, dont Pierre MESSMER, alors ministre des Armées, et Gaston PALEWSKI, ministre de la Recherche scientifique.
Un confinement défaillant
La France, ayant dû abandonner les essais aériens et les remplacer par des essais souterrains moins polluants, a opté pour des essais souterrains en zone marine (atolls) ou désertique. Les tirs sahariens étaient ici réalisés « en galeries », celles-ci étant creusées horizontalement dans le Tan AFELLA sur le site d'IN ECKER.
Ce type de galeries de tir était creusé de manière à se terminer en colimaçon. Cette forme de tunnel d'une part fragilise fortement le sol à cet endroit, et d'autre part freine en ce point l'expulsion des gaz, des poussières et des laves produits par la vitrification du sol. Selon les calculs des ingénieurs, en raison de ces deux facteurs, la galerie devait en ce point s'effondrer et se colmater. Elle était de plus refermée par un bouchon de béton. En fait quatre portes en acier très résistantes fermaient la galerie à différents niveaux recouvertes pour étanchéité de mousse de polyuréthane. Ces mesures étaient réputées permettre le meilleur confinement possible de la radioactivité, ce qui avait justifié qu'on ait invité de nombreux "officiels" à assister au tir.
Un nuage radioactif s'échappe
Le 1er mai 1962, lors de ce deuxième essai souterrain, le colimaçon semble ne pas s'être effondré assez tôt et le bouchon a été pulvérisé. La porte fermant la galerie à son extrémité fut projetée à plusieurs dizaines de mètres laissant s'échapper un nuage radioactif de gaz et de particules hors de la galerie de tir. Une fraction de la radioactivité a été expulsée avec les gaz, laves et scories. Les laves se sont solidifiées sur le carreau de la galerie, mais les aérosols et produits gazeux ont formé un nuage qui a culminé à près de 2 600 m d'altitude, à l'origine d'une radioactivité détectable jusqu'à quelques centaines de kilomètres.
Selon le témoignage de Pierre MESSMER, quelques secondes après le tremblement du sol provoqué par l'explosion, les spectateurs ont vu « une espèce de gigantesque flamme de lampe à souder qui partait exactement à l'horizontale dans notre direction [...] Cette gigantesque flamme s'est éteinte assez rapidement et a été suivie par la sortie d'un nuage, au début de couleur ocre, puis qui est rapidement devenu noir ».
L'enregistrement des appareils de mesures de radioactivité a été immédiatement mis sous secret-défense (témoignage France- inter le 25 octobre 2013 13h50 Louis BULIDON à l'époque service technique - mesures de radioactivité).
Fermeture de la galerie
Ultérieurement la sortie de la galerie fut couverte de béton faute de meilleurs moyens de décontamination.
Conséquences sanitaires
Gaston PALEWSKI mourra à 83 ans, d'une leucémie, 22 ans plus tard, persuadé selon Pierre MESSMER que ce cancer a été causé par l'accident. P. Messmer est également mort d'un cancer, mais à un âge plus avancé, sans qu'il soit possible de lier ce cancer à cet accident. Selon les comptes rendus officiels disponibles, la plupart des militaires n'ont reçu qu'une irradiation externe. Aucune information n'est en revanche disponible sur l'état de santé des populations civiles touareg du Sahara.
Gaston PALEWSKI (1901/1984) Pierre MESSMER (1916/2007)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Gaston_Palewski http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Messmer
Et depuis il y a toujours un contentieux avec les irradiés... Cependant, il a été établi lors d'une étude parue en 2007 que les niveaux de radionucléides mesurés sur le site de REGGANE étaient très faibles et ne pouvaient impacter les populations vivant sur place.
L’accident de BERYL ne fut pas le seul. D’autres accidents eurent lieu : l’accident Améthyste (30 mars 1963).
Lors de cette expérience, il y a eu sortie d’une faible quantité de scories de roches fondues. Un panache contenant des aérosols et des produits gazeux s’est dirigé vers l’Est- Sud-est, et a touché l’oasis d’IDELES, située à 100 km où vivaient 280 habitants. Les accidents Rubis et Jade, lors de l’expérience Rubis, le 20 octobre 1963, une sortie de gaz rares radioactifs et d’iodes s’est produite dans l’heure suivant la réalisation de l’essai, avec formation d’un panache. La contamination a été détectée jusqu’à TAMANRASSET.
Dans le cas de l’expérimentation Jade, le 30 mai 1965, il est observé une sortie de gaz rares et d’iodes par la galerie.
Les six premiers tests - dont quatre dans l’atmosphère - ont eu lieu à l’époque de l’Algérie française. Mais, lors des accords d’Evian, le 18 mars 1962, le FLN a accepté, dans le cadre d’« annexes secrètes », que la France puisse utiliser des sites sahariens pour des essais nucléaires, chimiques et balistiques pendant cinq années supplémentaires. Onze essais se sont ainsi déroulés après l’Indépendance du 5 Juillet 1962 et ce, jusqu’en février 1966. En 1967, « les sites ont été rendus aux autorités algériennes après démontage des installations techniques, nettoyage et obturation des galeries », assure le ministère de la Défense.(...)
Dans les années 1950 REGGANE n’était qu’une petite palmeraie avec comme activités l’élevage, l’agriculture et le commerce des dattes et des tomates. La ville est loin de tout, la population vit en quasi autarcie ; elle est choisie par l'état français comme site d'expérimentation atomique. Un lieu loin de tout, ne présentant aucune vie animale ou végétale, lisait dans son rapport le représentant Jules MOCH devant l'assemblée des nations unies. La construction d’une base militaire, appelait
Centre d’Expérimentations Militaires, capable d’accueillir près de 3 000 personnes, à 10 Km de REGGANE, arrache cette bourgade à sa torpeur.
Une véritable ville est progressivement sortie des sables du désert. Sous une température de 50 degrés, 6000 scientifiques, ingénieurs, techniciens et militaires y ont travaillé.
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