lundi 13 octobre 2014

Rappels chronologiques sur l'histoire des harkis

Rappels chronologiques sur l'histoire des harkis

La lecture de l'histoire des harkis sur le Web, et les ouvrages récents, imposent de préciser certains faits d'histoire qui sont ignorés ou présentés de façon erronée1. Ils sont rappelés ici de façon succincte ; chacun peut faire l'objet de développements explicatifs.
- de 1954 à 1956, des organisations diversifiées de forces supplétives ont été créées sous l'impulsion de J.Servier, J. Vaujour, du général Parlange et du Gouverneur Soustelle, puis du général Lorillot et du bachaga Boualem.
- à la fin de 1957 et au début de 1958, le général Salan attribue des armes de guerre à des harkas dites amalgamées (environ 20.000 hommes) ; il refuse la création de harkas autonomes.
- fin 58 et début 59, le général Challe obtient de porter les effectifs de 33.000 à 60.000 harkis, crée des commandos de chasse à base de harkis et envisage de fédérer autodéfenses et unités territoriales ; à Paris le capitaine Montaner met sur pied la Force de police auxiliaire. En mai 1959 sont créés des Quartiers de pacification confiés à des SAS renforcées.
- le 5 janvier 1961, le général Crépin privilégie l'avenir des harkis et promet qu'ils ne seront pas abandonnés ; le total de 120.000 supplétifs armés est atteint, mais des réductions d'effectifs sont alors programmées. Au total 3.270 supplétifs ont été tués au combat ou par attentat.
- le 23 mars, le général de Gaulle subordonne l'aide de la France à la liberté des « musulmans fidèles » (sic). En mai-juin, Bernard Tricot et les diplomates se préoccupent de leur protection.
- les décrets du 30 mars, 31 octobre et 6 novembre 1961 assimilent les services supplétifs au service militaire et en règlementent l'administration ( contrats renouvelables de 1 à 6 mois). Les SAS sont démilitarisées et transformées en Centres d'aide administrative en janvier 1962.
- en novembre 1961 à Bâle, le FLN promet qu'il n'y aura pas de représailles.
- le 10 mars 1962, le ministre Messmer propose trois solutions d'avenir ; des centres d'accueil sont créés en Algérie ; l'ordre de désarmer les harkis est prescrit le 13 mars.
- un arrêté du 30 mars institue la force locale, dite Force de l'ordre. 114 GMS, 114 unités d'appelés musulmans et 110 pelotons de gendarmerie y sont affectés. Elle comprend 37.000 hommes, encadrés par 456 officiers et 800 sous-officiers français, 229 et 2.166 cadres musulmans. En juillet, 113 unités passent à l'ALN, emportant 25.300 armes de guerre et 590 véhicules. Tous les GMS ne se rallient pas au FLN.
- le 11 avril, le ministre Louis Joxe privilégie le maintien en Algérie du maximum de supplétifs ; le 19 avril, il rejette le plan Massenet de rapatriement. La grande majorité des supplétifs fait confiance au gouvernement et rejoint son village. Les wilayas promettent le pardon mais planifient la condamnation des supplétifs.
- les massacres de harkis commencent le 19 mars et redoublent de violence en juillet ; l'estimation de 150.000 tués (contrôleur de Saint-Salvy) est jugée fausse par l'historien X.Yacono ; plusieurs historiens font un bilan de 60 à 80.000 morts, mais leur estimation n'est pas vérifiable.
- le 12 mai les ministres Joxe et Messmer condamnent les initiatives de rapatriement.
- le 26 mai, Messmer accepte d'ouvrir le camp du Larzac « pour trois mois » (et Bourg Lastic le 19 juin), le service civil des rapatriés étant chargé de l'accueil. 11.000 personnes y sont installées en juillet.
- le 21 juin, le Comité des Affaires algériennes s'oppose aux initiatives d'intervention, ce qui revient à une non-assistance aux personnes menacées. Priorité est donnée à l'accueil des rapatriés européens.
- le 3 août, un conseil restreint de gouvernement confie à l'armée l'hébergement et le reclassement des supplétifs rapatriés. Cette décision tardive explique les improvisations de 1962, qui ont peu à peu été corrigées. D'autre solutions que des camps militaires auraient pu être choisies (centre mobilisateurs). Les rapatriés musulmans doivent faire une déclaration recognitive de nationalité ; les crédits d'aide individuelle sont attribués au financement des camps de transit.
- le 19 septembre 1962, le premier ministre Pompidou prescrit d'assurer le transfert des supplétifs menacés et d'accélérer leur recasement en France.
- les rapatriés de Larzac et Bourg-Lastic sont transférés en octobre à Rivesaltes et St Maurice l'Ardoise, où transitent 22.000 et 10.000 rapatriés musulmans. Ils sont logés dans des tentes avant que des baraquements ne soient construits. Le général de Segonzac et le préfet Perony prescrivent la formation professionnelle des hommes, ménagère des femmes, scolaire des enfants. La surveillance des camps, destinée éviter la pénétration de militants politiques, est nécessaire mais insuffisante. Le Comité national des Musulmans Français est créé en mars 1963 sous la direction de M.Parodi.
- les camps dits de transit sont fermés à la fin de 1964 et les rapatriés sont dispersés dans les départements industriels ou dans les hameaux forestiers (72 hameaux en 1966 avec 9.815 personnes, 30 hameaux en 1975 avec 5.200 personnes, 5 à 9 hameaux en 1985 avec 134 familles soit 800 personnes).
- les rapatriés incasables pour cause d'inaptitude sont hébergés dans les centres d'accueil de Bias (créé en janvier 1963), et St Maurice l'Ardoise créé en 1965.
- en 1972, le rapport de l'ethnologue Servier fait état de la surnatalité, des retards scolaires et des conflits de génération. La sénatrice Anne Heinis rapporte le grand dévouement des monitrices. Le lieutenant Yvan Durand se distingue dans le sud-est (Ongles, Mouans-Sartoux et Sallerans)
- au total, 21.100 supplétifs ont été rapatriés (66.000 avec les familles) selon le rapport au gouvernement de février 2006. La relégation prolongée dans des « réserves d'indiens » est une légende non fondée (voir tableau des effectifs). Les 42 cités urbaines créées par la Sonacotra ou la SNCF ne sont pas des prisons, mais des logements type HLM où résident 26 % de harkis ; des assistantes sociales y sont mises en place pour faciliter l'adaptation des familles à la société française. En 1975, il ne reste que 640 personnes à Bias (1.852 personnes sont sorties du centre) et 204 en 1992. Ce sont ces reliquats qui se révoltent en 1975 et 1990, révoltes fomentées de l'extérieur, qui aboutissent à la décision de fermeture des centres d'accueil et des hameaux forestiers en 1976.
- des Services d'accueil se sont succédé de 1962 à 1981 (SFIM, ONASEC, BIAC, DNAS). Parallèlement, de nombreux rapports d'enquête se sont préoccupés de l'intégration des harkis (Prioux et le CES en 1963, Barbeau en 1973, Leveau-Meliani en 1991, Rossignol en 1994, Diefenbacher en 2003, l'IGAS en 2005, la MIR en 2006). Le ministre Hernu met en place en 1985 des appelés éducateurs et aides à l'emploi. Les ministres Santini et Cabana consentent un effort financier appréciable ; en 1994, le plan Romani favorise l'acquisition de la résidence principale. Un statut des victimes de la captivité et une aide aux veuves sont adoptés. De nouveaux avantages sociaux sont accordés par madame Aubry
- le 21 février 1963, le colonel suisse Gonard, vice-président du CICR, rencontre Ben Bella ; il obtient la libération de 300 harkis ; il lance une enquête sur 1.200 disparus ; d'avril à septembre 1963, 20 délégués du CICR, en marge de cette enquête, visitent 2.500 harkis emprisonnés. Leur rapport, resté secret jusqu'en 2003, conclut que 70 % à 90 % des disparus sont décédés. 500 harkis sont libérés en décembre 1965.
- le 9 décembre 1990, le gouvernement socialiste rend hommage aux harkis aux Invalides et diffuse le timbre « Hommage aux harkis soldats de la France ».
le 11 novembre 1996 le Président Chirac inaugure le monument du Chapeau Rouge ; en 2001 il institue la journée d'hommage aux harkis du 25 septembre ; il reconnaît que « la France n'a pas su sauver ses enfants ».
- la loi algérienne 99-07 du 5 avril 1999 retire les droits civiques et politiques des personnes ayant eu des positions contraires aux intérêts de la patrie.
- le 16 juin 2000, le président Bouteflika compare  les supplétifs aux collabos de la 2ème guerre mondiale (déclaration à FR2),
- le 28 septembre 2003, un décret fixe au 5 décembre la journée d'hommage aux morts de la guerre d'Algérie.
- le 23 février 2005, est votée la loi reconnaissant les souffrances et les sacrifices des combattants des forces supplétives.
- le 8 septembre 2005, le président Bouteflika déclare à l'AFP à Oran : "nous avons commis des erreurs à l'encontre des familles et des proches des harkis...Nous avons suscité en eux un sentiment de haine et de rancune".
- le 25 septembre 2013, l'ONAC a présenté aux Invalides une exposition sur « le parcours des harkis et de leur famille ».


Pièces jointes.
Témoignages ( Med. Harbi, Officiers, Bouderbala, A.Heinis, M.Hamoumou, K.Bouneb, Temps modernes nov.2011, Colloque de nov. 2013).
Chronologie des archives Messmer
Rapport Massenet
Courbes des effectifs
Situation des effectifs sortis de Bias (15 décembre 1966)

TEMOIGNAGES

Mohammed Harbi

La motivation sécuritaire est fondée sur les exactions et les injustices imposées par le FLN, et que Mohamed Harbi a rappelé : « les méthodes répressives et les injustices du FLN apparaissent comme les motifs principaux de l'engagement massif des harkis ». Il semble bien que la majorité des supplétifs s'est engagée pour protéger leur famille et maintenir la paix dans les villages.
Mohamed Harbi a montré également l'existence en Algérie de forces sociales indifférentes à l'idée de nation; la population des campagnes était davantage attachée au clan et à la famille qu'à la notion d'indépendance. L'idée nationale a pu inspirer des responsables élus, ou des évolués touchés par la propagande du FLN, tels que Youcef du Commando Georges ; elle ne touchait pas la majorité rurale des harkis. Mohammed Harbi confirme que « le nationalisme algérien n'a trouvé son unité qu'en 1962 ».
Certains harkis rencontrés à la prison de Lambèse avaient été retournés. Il faut donc éviter de traiter les harkis de traîtres et de collabos (Temps modernes de novembre 2011)

Le jugement des officiers

En février 1958, les Commandants de Corps d'armée et de Divisions, unanimes à reconnaître les services rendus par les harkas, estiment nécessaire leur accroissement...Instrument indispensable de la pacification, les harkas sont la préfiguration de la participation effective de la masse musulmane à la lutte contre la subversion.
Le général Parlange écrit : «Très vite, nous fûmes frappés par la valeur combattive de ces hommes courageux ; ils se montrèrent aussi capables d'attaquer et de pourchasser vigoureusement les rebelles que de défendre leurs propres familles et leurs biens.
Alors on décida de les armer plus fortement et de les encadrer. Les premiers résultats obtenus furent convaincants, le contact fut repris avec des populations jusque là abandonnées à elles-mêmbes, les exactions rebelles se raréfièrent, la sécurité locale s'améliora...la confiance et l'espoir renaissaient.
Quant à la combativité des premiers harkis, on put en juger sur le fait qu'ils perdirent en quatre ans la moitié de leurs effectifs».
Jugeant les GMPR, le gouverneur Soustelle estime que « chacun a eu son histoire, souvent tragique, souvent héroïque....Ces Arabes, ces Berbères ne haissaient pas la France, ils se sont battus et souvent sont morts pour elle à côté de leurs camarades de métropole »
« Les musulmans sont les meilleurs chasseurs de fellagas...ils sont ardents et sûrs dans la mesure où ils sont bien commandés », affirme le général Challe.
Le général Olié, qui en 1956 s'était appuyé sur les djemaas pour lancer la formation de supplétifs en Kabylie, estime en 1959 les harkis du Constantinois" ardents au combat, faciles à commander...Souvent amalgamés, ils ont pris conscience de leur rôle sur le plan opérationnel ". Le général Vézinet confirme que les harkis "éléments solides, sont déterminés au combat contre le FLN qui est leur ennemi personnel"(2 T94).
Les harkis constituent un important appoint, estime le général Massu, dont la qualité et la valeur opérationnelle conditionnent l'emploi...leur loyalisme dépend de notre attitude et de notre constance. Le général Crépin souligne l'aptitude des commandos à poursuivre les rebelles dispersés en terrain difficile...Le harki est pour lui l'auxiliaire direct du combattant régulier, grâce à sa rusticité, sa connaissance de l'adversaire, ses liens avec la population.
Pour le général Gouraud à Constantine, « les harkis sont bien adaptés aux unités...leur fidélité est éprouvée, ils sont attachés à leur chef direct...inquiets de l'avenir, et soucieux du sort de leur famille ». Selon le général de Pouilly à Oran, les musulmans donnent satisfaction, ils sont sensibles à l'absence de toute discrimination raciste, et à la fraternité réalisée.
Le général Crémière, qui dans le Secteur de Bordj-bou-Arreridj disposait de 1600 harkis, les classa en trois catégories: Fortement armée, la première comptait une dizaine de harkas constituée par les hommes d'une même tribu, voire d'une même famille...D'un niveau opérationnel remarquable, il n'était pas rare de les associer aux opérations de Secteur. La 2ème catégorie concernait des harkas encadrées par quelques militaires français...elles participaient aux opérations de fouille et de bouclage. On en comptait une vingtaine. La 3ème catégorie s'apparentait plutôt à des autodéfenses renforcées. Ces harkas constituaient pour nous la première et irremplaçable source de renseignements.
« Les harkas n'étaient pas des unités d'assaut, écrit le général François Meyer, chef du commando Griffon dans le Sud-Oranais. Mais elles constituaient une infanterie légère, rustique, sobre et résistante, connaissant bien son terrain, la langue et les usages de sa région, et excellente dès lors qu'il s'agissait d'observer et de détecter le moindre mouvement insolite, de débusquer et de poursuivre l'adversaire...Sait-on combien de fois, des troupe régulières, et même réputées, tombées comme d'autres en embuscade, n'ont retrouvé leurs agresseurs et repris leurs armes que grâce à l'engagement de harkis, guetteurs, pisteurs ou interprètes ».Selon le colonal Quinart, le commando Griffon « tient un rôle des premier plan dans l'activité opérationnelle du Secteur de Géryville....Les djounoud sont rattrapés et abattus, l'armement perdu récupéré.
Autres supplétifs spécialisés dans le renseignement, les éclaireurs spéciaux du colonel Lemonnier travaillent au profit du colonel Ruat du CCI. Composés en partie de ralliés, ils utilisent toutes les ruses de guerre pour pénétrer les réseaux ennemis. Cette tâche ingrate du renseignement est suspectée de toutes les perversités ; l'usage de la torture est exclu. Les interrogatoires se déroulent sans précipitation ni brutalité.
Les harkas, selon le colonel Geminel, commandant le Quartier des Portes de Fer, faisaient partie intégrante du dispositif militaire du Quartier....Plusieurs étaient commandées par les maires des villages, telle la harka adaptée au commando de chasse V64, et dont le chef était le maire d'Harraza, dit "le Lion de la montagne". Les harkas menaient souvent des opérations indépendantes, de jour et de nuit, sous l'autorité de leurs chefs, en général pour recueillir des renseignements auprès des populations...Elles participaient au combat des compagnies, à l'intérieur des sous-quartiers. A chaque opération mettant en jeu le bataillon complet...elles étaient souvent intégrées aux compagnies, pour remplacer les effectifs qui devaient être laissés à la garde des postes...
Les auxiliaires de la X° Légion de gendarmerie « constituent un appoint appréciable grâce à leur connaissance du pays, des gens et de la langue ».
Le capitaine Ontrup rappelle que la SAS de Catinat « décida d'armer 18 femmes, qui devinrent vite des tireurs chevronnés...le couronnement fut une sortie à 5 km en zone interdite..Par la suite les femmes participèrent à quelques protections de convoi...Traitées de sâles Françaises, elles devenaient les informatrices les plus sûres pour la SAS et le 2ème Bureau ».
Le général Bienfait évoque la première SAS créée à Ain Taier. « Il faut d'abord mettre sur pied un maghzen. Ce groupe de supplétifs va très vite devenir un unité de combat digne des traditions de l'armée d'Afrique. Trois d'entre eux seront tués au combat, onze seront blessés et 18 citations attribuées à ces montagnards qui n'avaient demandé qu'à vivre en paix ».
Le général Communal, commandant la zone ouest oranaise, reconnaît les mérites du commando Yatagan de la DBFM. «  Toujours prêt toujours sur le terrain, infatigable, poursuivant inlassablement les rebelles, il a fait preuve d'une activité débordante, d'un mordant exceptionnel» .

Tahar Bouderbala. Les dures années du plan Challe

Texte de Daho Djerbal (historien) : La période du plan Challe et des opérations de ratissage demeure une des plus grandes épreuves qu'aît connue l'ALN mais aussi l'ensemble de ses réseaux de soutien et de ses forces auxiliaires...Comme dans toute révolution, l'enjeu central est le contrôle exercé sur le peuple. Parallèlement au plan Challe, dont l'objectif apparent était militaire, le plan de Constantine avait été lancé pour tenter de gagner les populations à une logique d'intégration économique et sociale...Les dirigeants des maquis voyaient bien que l'objectif final était de couper les unités de l'ALN des masses rurales qui constituaient leurs bases stratégiques, à les isoler pour pouvoir mieux les détruire....
Daho Djerbal : Avec le temps, l'étau de l'armée coloniale s'est mis à se desserrer. Mais les temps avaient changé et il fallait compter avec les unités de goumiers auxiliaires de l'armée française qui voyaient leurs rangs grossir.
Bouderbala (Commandant ALN, wilaya 2) : Avec le temps, nous dûmes faire face en plus aux harkas qui connaissaient nos moeurs et notre mentalité. Ils arrivaient à démonter nos réseaux de soutien et retrouver nos relais. Ils montaient même contre nous des embuscades la nuit tombée. C'était des harkas recrutées sur place. Elles connaissaient le terrain aussi bien que nous. Ce n'était pas comme auparavant des unités d'autres régions affectées pour servir dans le Nord-Constantinois. A Katina on trouvait même des femmes dans les unités de harkas. Lorsque de Gaulle était venu faire sa "tournée des popotes", ce sont ces harkas avec des femmes en tenue militaire qui l'accueillirent..
Djerbal : Avec ce retournement de la situation, les rapports hiérarchiques entre base et sommet ont été gravement perturbés. L'effet du rouleau compresseur de la nouvelle stratégie contre-insurrectionnelle a laissé de profondes blessures dans les rangs de l'ALN. Selon les dires des responsables du Nord-Constantinois, plus de la moitié des effectifs a été perdue. Les populations, elles aussi, ont du payer un lourd tribut.

Le sénateur Heinis
L'austérité commune partagée aura pour effet de créer dans bien des cas, écrit Madame Heinis, des liens de solidarité très étroite entre les harkis et ceux (les cadres) qui s'occupent d'eux...La bonne volonté éducatrice de certaines monitrices est débordante; elles veulent tout enseigner d'un seul coup (p. 90-96).
Dans sa thèse de 1977, madame Heinis décompte comme suit l'équipement des familles dans les hameaux forestiers et les cités immobilières : 82 % ont un réfrigérateur, 69 % la télévision, 71 % une machine à laver, 41% une voiture et 25 % une mobylette.

Mohand Hamoumou
Hamoumou confirme : J'ai connu un de ces hameaux...Les avis sont unanimes : les cours de français, de puériculture, de cuisine pour les épouses, les discussions des hommes avec le chef de camp, ont été très utiles. Tous en gardent un excellent souvenir. Peut-être parce que, de ce hameau, tous sont partis quelques semestres après .
En 1990, Mohand Hamoumou relate la réussite de 1.100 harkis dispersés dans des villages du Puy de Dôme.


Khemisiti Bouneb
- L'anthropologue Khemisti Bouneb a relaté les difficultés de l'installation : « Pour avoir vécu personnellement avec mes parents harkis dans différents camps, je pense qu'il y a eu une très grande exagération à propos de ces milieux fermés. Les chefs et les monitrices n'étaient pas des monstres ou des sadiques comme le prétendent certains ! Beaucoup ont accompli leur mission correctement.
« Parmi les dirigeants de ces camps, souvent d'anciens militaires pieds-noirs ou français de souche, il y avait des gens formidables et dévoués qui ont eu envers les harkis et leurs familles des conduites tout à fait remarquables.
« Certes ces camps n'étaient pas des hôtels trois étoiles ni des Club Med. Ils étaient constitués de baraquements rudimentaires et il y régnait une discipline stricte, mais ils répondaient aux exigences du moment, à savoir la prise en charge globale de familles rapatriées dans l'urgence. »
Bouteflika
En juin 2000, le Président algérien compare les harkis aux collaborateurs. Comparaison non pertinente selon Mohammed Harbi.
Le 2 septembre 2005, Boutef. reconnaît que de graves erreurs ont été commises en 1962 vis-à-vis des familles de harkis qui ont été massacrées. Les enfants de harkis ne sont pas responsables des actes de leurs parents.

Temps modernes de nov. décembre 2011
Claude Lanzmann regrette sa posture partisane d'autrefois, et parfois son aveuglement, quand il traitait les harkis de « chiens de l'humaniste Papon ».
Benjamin Stora reconnaît le rôle initiateur de Jean Servier et souligne que la terreur pratiquée par le FLN à Melouza a entraîné une contre-terreur. Sacrifiés par peur de l'OAS, ce qui reste à prouver, les harkis ont été écrasés par les Algériens en 1962.
Mohammed Harbi estime que l'identité du lignage ou de la confrérie était beaucoup plus forte que l'identité nationale des Algériens.
Mohand Hamoumou rend hommage à André Wormser qui s'est dévoué pour l'intégration des harkis. « Victimes de la raison d'Etat, ils ont des droits sur nous ». Les travaux historiques montrent que les harkis n'étaient pas opposés à l'indépendance de l'Algérie ; ils n'étaient pas les collaborateurs du colonialisme. Le régime de parti unique et la réécriture de l'histoire ont trahi les idéaux de la Révolution algérienne .
Colloque de novembre 2013.
La Fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie a organisé les 29 et 30 novembre 2013 un colloque très complet sur l'histoire des supplétifs depuis 1830 à nos jours. Les Actes de ce colloque méritent la lecture.


RAPPORT MASSENET
du 10 avril 1962

La Commission interministérielle présidée par le Conseiller d'Etat Michel Massenet se réfère à la déclaration du ministre des Armées Messmer du 21 février 1962 :
« Le recasement en métropole des personnels libérés de leur contrat sera organisé...
Les décisions à prendre concernent l'emploi, la formation professionnelle et le logement »
La commission comprend des représentants des ministères de l'Intérieur, des Armées, des Affaires algériennes, des Rapatriés et du Commandant supérieur en Algérie.
Elle évalue les effectifs concernés à 26.000 engagés volontaires, 45.000 supplétifs et 18.000 moghaznis et souligne que 98 % des supplétifs sont illettrés.
Les questions à traiter sont les suivantes :
des mesures de protection en Algérie, par regroupement dans des zones temporaires de sécurité,
la liberté de circulation, alors que des autorités préfectorales s'y opposent,
le transport par voie maritime, à raison de 8 à 10.000 personnes par semaine,
l'accueil en métropole, où les moyens disponibles sont dérisoires, exige la création de cités de transit et le recours à des camps militaires,
l'aide sociale requiert un encadrement d'anciens SAS et de renforts des CAT, et pose un sérieux problème de sécurité,
des reclassements sont possibles dans l'agriculture, dont l'ONF, et dans l'industrie, ce qui nécessite une préformation confiée aux militaires,
le logement définitif pose un problème ardu; une phase transitoire est souhaitable dans des cités évolutives, où la proportion des musulmans serait de 10 %.

En conclusion, la commission souligne la gravité et l'urgence du problème ; c'est une question de vie et de mort, qui doit être réglée dans les 60 jours à venir. La protection assurée est illusoire ; il n'y a pas de crédits pour le transport et le logement. Il faut des moyens budgétaires et un statut de réfugiés. Le Secrétariat d'Etat aux rapatriés n'y est pas préparé.
X
Commentaire

Ce rapport relativement pessimiste montre bien la difficulté du recasement des supplétifs. Bien qu'il ait été rejeté par le gouvernement le 19 avril, il proposait des solutions qui seront reprises en Algérie et en métropole en 1962. Il est évident que l'adaptation à la vie française (emploi salarié, habitat moderne, condition féminine, sécurité sociale et matérielle, laïcité) de ruraux illettrés, exigeait une période de formation par des personnels connaissant leur culture et leur mentalité. Il est vrai qu'une grande partie des hommes comprenait le français, mais pas les femmes ni les enfants, habitués à la vie dans des mechtas rudimentaires. Des périodes de transit pour la majorité, et des centres d'accueil pour les incasables étaient des solutions raisonnables. Les directives du général de Segonzac et du préfet Perony répondaient à ces besoins. Les décisions tardives du gouvernement ont imposé une improvisation regrettable. Les travaux forestiers étaient adaptés aux capacités des supplétifs ; l'erreur initiale a été de les implanter loin des localités françaises.
Voir les avis de Bouneb et Hamoumou.

EFFECTIF DES HARKIS RAPATRIES

- de juin à septembre 1962, environ 6.000 et 5.000 supplétifs avec leurs familles, sont hébergés dans les camps militaires de Larzac et Bourg-Lastic.

- en octobre 1962, des camps de transit sont ouverts à Rivesaltes (9.620 rapatriés), St Maurice l'Ardoise ( 4.800 rapatriés) et la Rye (200 rapatriés).

- en mars-avril 1963, ces camps hébergent 7.300 , 3.000 et 700 rapatriés. Ils sont fermés en décembre 1964.

- des camps d'accueil pour incasables sont ouverte à Bias en mars 1963 ( 1.300 personnes) et à St Maurice l'Ardoise en janvier 1965.

- en 1965-66, ces camps hébergent 834 et 800 personnes. 1.852 rapatriés sont sortis de Bias.
En 1975, ces camps d'accueil hébergent 640 et 800 personnes. Ils sont fermés à la fin de l'année.

- en octobre 1962 ont été ouverts 40 hameaux forestiers, ils comptent 3.968 personnes en avril 1963. En 1975, 72 hameaux hébergent 9.815 personnes ; en 1975, 30 hameaux hébergent 5.200 personnes ; en 1975, 30 hameaux comptent 5.200 personnes, et en 1985 il reste 800 personnes dans 9 hameaux.

Le total des supplétifs rapatriés passe de 21.000 fin 1962 à 40.000 en 1963, 66.000 en 1965,
180.000 en 1975, 210.000 en 1985 et 400.000 en 1990.

Ces chiffres sont des ordres de grandeur qui sont à préciser. Ils montrent qu'en 1965, les résidents des camps de transit ont été dispersés dans les départements, qu'en 1975, 4 % des supplétifs sont encore encadrés par des militaires, et qu'en 1985, cette proportion est de 1 %.







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