mardi 17 février 2015

Le modèle occidental, par Philippe Richardot




Extrait de Le modèle occidental, Paris, Economica, 2007 ;

La première guerre mondiale de religion se fait contre et sans l’Occident 2001- ?

Le 11 septembre 2001 voit un mouvement islamiste sunnite wahabite détruire au moyen d’avions de ligne détournés les deux tours géantes du World Trade Center à New York et le bâtiment du Pentagone, cœur de la puissance militaire US, à Washington. Même aux pires moments de la Seconde guerre mondiale, ni l’Allemagne, ni le Japon n’ont été capables de frapper au cœur de l’Amérique. C’est la conséquence d’une déclaration de guerre sainte déclarée en février 1998 à partir de l’Afghanistan par le mouvement Al Qaeda. Il s’agit d’une Organisation Non Gouvernementale du terrorisme islamique dirigée par le millionnaire saoudien Ousama Ben Laden, a démontré qu’avec des moyens réduits, elle était capable de lancer une guerre mondiale par l’extension de ses frappes. De Bali à Washington, une cohorte d’attentats frappent les Etats occidentaux, musulmans et africains. A l’action d’Al Qaeda, qui est une mouvance et un mouvement, s’ajoutent les innombrables guérillas islamistes : GIA en Algérie, Tchétchènes aux confins de la Russie, Taliban en Afghanistan et au Liban, Hammas en Palestine, Hezbollah au Liban, Chiites en Irak, Moros aux Philippines, islamistes du Londonistan... L’affaire des caricatures de Mahomet par un journal danois, qui a représenté le Prophète avec une bombe dans un turban, a donné naissance à des provocations le représentant en porc et 80 chrétiens ont été tués dans le monde musulman (hiver 2005-2006). A cette frappe mondiale contre l’impérialisme US, l’Occident chrétien, les juifs et les tendances musulmanes modérées, s’ajoute une capacité de résistance dans le temps supérieure à la Wehrmacht. L’armée des Etats-Unis, la première du monde, n’est pas parvenue à retrouver Ousama Ben Laden et à éliminer les Taliban en Afghanistan entre 2001 et 2006, soit une durée supérieure à la Seconde guerre mondiale. Depuis 2003, l’Irak est militairement occupé, son dictateur Saddam Hussein sous les verrous, mais les Américains et leurs alliés britanniques ou autres ne parviennent pas à pacifier le pays qui a un rythme d’attentats hebdomadaires. Les alliés des Américains sont frappés sur leur territoire : 800 tués et blessés dans le métro de Londres en 2005. C’est donc un nouveau type de guerre mondiale. Il se fait grâce à la mondialisation qui permet des transports planétaires rapides et des communications téléphoniques et informatiques immédiates, installe quelques dizaines d’activistes, des milliers de sympathisants dans des pays occidentaux où des millions de musulmans résident depuis les années 1970. Si les racines de l’attentat du 11 septembre 2001 sont à rechercher dans la révolution islamique chiite en Iran dès 1979, qui a entraîné une vague d’attentats occidentaux dans les années 1980 et dans les guerres israélo-arabes depuis 1949, c’est bien une première guerre mondiale de religion qui impose son rythme à l’Occident. C’était le contraire lors des deux premières guerres mondiales où le monde arabo-musulman colonisé n’était qu’un théâtre des luttes entre Occidentaux. L’adversaire principal des islamistes sont les Etats-Unis, la seule grande force occidentale qui tient l’Europe sous sa dépendance militaire à travers l’OTAN et contrôle les relais politiques majoritaires dans l’Union Européenne. Ils imposent à cette dernière son extension à la Turquie géographiquement et historiquement contre-nature, mais devant faciliter l’encerclement du monde arabe et propice à affaiblir l’Europe. Les Etats-Unis baptisent officiellement cette guerre GWOT (Global War on Terrorism), littéralement « guerre globale contre le terrorisme ». L’adversaire n’est nommé que par son mode d’action, un peu comme si la guerre contre l’Allemagne nazie avait été surnommée « guerre contre les Panzer ». Néanmoins, ni l’IRA irlandaise, ni le FLNC corse ne sont concernés par cette GWOT. Incapables de nommer précisement leur adversaire à cause de l’idéologie de la Political Correctness, les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux n’ont pu définir de stratégie efficace contre. Alors que les Etats-Unis utilisent leurs forces armées à l’extérieur, les Occidentaux utilisent leur police à l’intérieur et traitent les combattants du Djihad comme des droits communs sans reconnaître l’état de guerre. A la confusion des idées s’ajoute celle des buts. Les Etats-Unis ont tiré parti de l’agression du 11 septembre 2001 pour contrôler la production pétrolière de l’Irak et avancer le projet d’un oléoduc qui irait de la Caspienne au Pakistan via l’Afghanistan. Ce positionnement encercle aussi l’Iran, puissance islamiste mais surtout pétrolière et prétendant nucléaire. Cette confusion des buts renforce moralement le terrorisme islamique et risque de se retourner contre les Américains qui peuvent se révéler à la longue incapables de contrôler les installations pétrolières. Cette nouvelle guerre confronte matérialisme économique et religion, de même que sur le plan des moyens elle affronte Goliath à David. Les deux ont une prétention mondiale. A terme, l’islamisme arabe se conjugue avec la révolution islamique iranienne qui, installée depuis 1979, a des prétentions nucléaires, évoque l’anéantissement d’Israël (2005) et refuse l’ultimatum de l’ONU en la déclarant incapable de sanction (2006). Le 16 septembre 2006, le Pape Benoît XVI constate qu’au Moyen Age, la religion catholique considérait l’islam comme belligène et attire des incendies d’églises, des violences contre des chrétiens et des menaces de mort contre lui ainsi que des demandes d’excuses venant de pays musulmans, comme l’Etat laïc de Turquie. Il présente des regrets, se prosterne dans une mosquée lors de sa visite en Turquie dont il soutient désormais la candidature à l’Union Européenne. Cette attitude traduit un changement radical dans le rapport de forces millénaire entre les deux religions.

ANALYSE DES STRATEGIES COMPAREES ETATS-UNIS- ISLAMISTES
D’après Philippe RICHARDOT, Les Etats-Unis hyperpuissance militaire, 2e édition remise à jour, Economica, Paris, 2005

ETATS-UNIS

ISLAMISTES

Posture : contre-offensive
Posture : offensive
Temps : La perspective d’une guerre longue ne dépasse pas dix ans ; la brièveté du temps mesure la réussite. La durée émousse la volonté combative et force au retrait
Temps : La maîtrise de la durée est la clé de la victoire ; le temps mesuré n’a aucune importance
Idéologie : joue sur deux registres : (externe) lutte pour la démocratie contre l’idée d’une guerre de religion/ (interne) défense du judéochristinanisme
Idéologie : Guerre de religion Djihad (guerre sainte)
Dispositif : visible
militaro-policier et judiciaire
Dispositif : invisible
terroriste, religieux et financier
Grande stratégie : Contrôle planétaire par l’économie, l’information, les relations diplomatiques bilatérales depuis la défection de l’ONU, la maîtrise sur le pétrole, l’OTAN, l’hyperpuissance militaire
Grande stratégie : Evincer les Etats-Unis du monde musulman pour contrôler le pétrole du Golfe et de la Caspienne. Etendre la religion musulmane à l’Europe et l’Asie du Sud, pour obtenir des moyens technologiques et industriels. Devenir la nouvelle puissance planétaire
Stratégie : directe
Surveillance renforcée du territoire U.S.
Recherche de l’appui international
Contre-attaque militaire limitée sur les grands foyers d’islamoterrorisme : Afghanistan et Philippines. Recherche d’une solution globale par l’invasion de l’Irak. La maîtrise des gisements pétroliers irakiens doit tenir l’Arabie et l’Iran. Ces derniers et la Syrie situés dans la sphère d’intervention militaire U.S. sont dissuadés
Stratégie : indirecte
Action terroriste sur tous les continents pour: Faire sauter des verrous (Algérie, Tchétchénie), attirer les Etats-Unis dans un piège militaire de type Viêt-Nam, perturber l’économie de marché (échanges aériens, assurances maritimes), freiner les flux d’Occidentaux en direction des pays musulmans
Mode Opérationnel :
Mobilisation de la Garde Nationale
Surveillance des aéroports et des points sensibles
Défense aérienne accrue
Recherche du Renseignement à l’intérieur et à l’extérieur
Procès pour terrorisme
Projection aéronavale
Infiltration de Forces spéciales et bombardement aérien pour appuyer des auxiliaires au sol en Afghanistan
Offensive aéroterrestre en Irak et pacification
conjointe à des auxiliaires et à des alliés européens
Mode Opérationnel :
Offensive sur plusieurs fronts :
- 1998= 2 attentats contre ambassades US au Kenya et en Tanzanie
- septembre 2001= assassinat de Massoud en Afghanistan + attentats multiples et simultanés aux Etats-Unis
- octobre, décembre 2001= attentats contre le parlement de Srinagar (Cachemire), puis contre le Parlement indien
- octobre 2002= assassinat de deux GI’s U.S. au Koweït, attentat contre un pétrolier français dans l’océan Indien, attentat contre une discothèque en Indonésie, prise d’otages à Moscou
- 28 nov 2002 : attentats contre un appareil d’Elal au Kenya et à en Israël
Guérilla locale en terre musulmane
Refus de la présence U.S. en Irak (chiisme)
Tactique : Méthodes policières et judiciaires
Utilisation de munitions intelligentes et de communications performantes ; principe du « zéro mort » dans le camp ami
Tactique : Hyperterrorisme (destructions massives) par commandos de kamikazes, explosifs ; détournement d’avions, prise d’otages ou embuscades, attaques contre forces de l’ordre, émeutes contre minorités religieuses et assassinats ponctuels
Propagande : maîtrise de l’information mondiale par CNN et les TV des pays alliés
Propagande : rendre dépendante l’infosphère occidentale d’apparitions diffusées par Al-Djezira


Conclusion


L’Europe a lancé le modèle de la guerre mondiale et fait de ses colonies les théâtres d’opérations secondaires de ses conflits. L’Afrique, l’Asie comme l’Amérique coloniale y ont été les spectateurs et les auxiliaires des luttes européennes. L’arrivée du Japon comme compétiteur régional asiatique a encore plus mondialisé la guerre dans la première moitié du XXe siècle. Les deux guerres mondiales sont liées à l’appétit de puissance allemand en Europe, mais si la première a pour motivation le rang, la seconde est plus idéologique. Néanmoins, le modèle de la guerre mondiale était lié à la puissance de l’Europe occidentale. Les deux guerres mondiales, résultat de la puissance européenne, ont cassé cette même puissance et rejeté l’Europe à la périphérie de l’Occident. La Seconde est la plus grande et sans doute la dernière mondiale qui obéisse au schéma occidental. Après 1945, la Guerre froide définit un monde bipolaire, mais les conflits armés y deviennent secondaires et non-européens car la bombe atomique pousserait la lutte au suicide mutuel. Dans cette Guerre froide, l’Europe n’est plus qu’un enjeu entre les Etats-Unis et l’URSS. Néanmoins, comme pour les deux guerres précédentes, ce sont les nations les plus riches et les plus démocratiques qui l’emportent. La fin de l’URSS, ramenée à la Russie en 1991, rend la guerre interethnique possible en Europe balkanique et laisse la place libre pour d’autres compétiteurs à la domination mondiale, mais qui ne sont plus, contrairement au modèle occidental, des Etats-nations et dont le motif n’est ni le rang, ni la richesse, mais la religion islamique. Loin de mener la danse, l’Occident est devenu une cible dans une guerre qu’il ne comprend pas. Les perturbateurs de la paix mondiale ne sont plus les Allemands et les Soviétiques comme au XXe siècle. Née de la conception occidentale des relations diplomatiques, et contrairement au précédent de la SDN, l’ONU tient le coup, peut-être parce qu’elle ne condamne pas les « Grands » et ne s’est jamais attaqué qu’aux « petits ». La guerre reclasse les puissances.


LA GUERRE MONDIALE RECLASSE ET DECLASSE L’OCCIDENT
Période
Situation de l’Occident
Guerres dynastiques et thalassocratiques
1715-1815
L’Europe est le centre d’impulsion tandis que le reste du monde forme un théâtre secondaire d’opérations
Première guerre mondiale
1914-1918
L’Europe est le centre d’impulsion de la guerre mondiale mais la solution vient des Etats-Unis
Seconde guerre mondiale
1939-1945
L’Europe est le centre d’impulsion de la guerre mondiale mais le Japon forme un pôle secondaire et la solution vient des Etats-Unis et de l’URSS
Guerre froide 1947-1991
L’Europe est à la périphérie de l’Occident dont les Etats-Unis sont devenus le centre
Première guerre mondiale de religion
2001- ?
Les Etats-Unis sont le centre de l’Occident et du monde tandis que l’Europe reste la périphérie de l’Occident et cherche à casser son modèle pour une Euroméditerranée


dimanche 21 décembre 2014

Pratique des enlèvements au Maghreb


Remarque. 
La prise d'otages constitue un phénomène inquiètant de l'actualité. Son histoire à travers les âges
 a fait l'objet en 2012 du numéro 90 de la revue internationale d'histoire militaire, sous la direction du professeur Jean-Nicolas Corvisier.  Il contient l'article ci-joint de Maurice Faivre

LA PRATIQUE DES ENLEVEMENTS AU MAGHREB

I. LES INCURSIONS MUSULMANES DU 8ème AU 19ème SIÈCLE

En Afrique noire, du 7° au 19° siècle
La disparition d’otages pendant la guerre d’Algérie n’est pas une innovation des insurgés du FLN. Elle a été précédée d’une pratique séculaire des enlèvements et de l’esclavage, lequel est règlementé par le Coran. Cette tradition remonte au tribut imposé au roi de Nubie en 652 par le général Abdallah ben Saïd, d’avoir à livrer chaque année 360 esclaves originaires du Darfour. A côté de ce mode de « contrainte diplomatique », les autres moyens de recrutement sont la conquête, l’achat et la reproduction. Le transfert des esclaves se poursuit du 8ème au 18ème siècle par le Sahara ; il concerne des millions de Noirs considérés comme des sous-hommes, réduits au stade animal selon l’observation d’Ibn Khaldoun. Ils sont capturés en général avec la complicité des potentats africains du Mali et du Songhay, du Bénin, des Ashantis (Ghana), et des Etats Haoussa (Bornou, Kanem ). A la fin du 10ème siècle, les Zirides de Tunisie, qui contrôlent le Fezzan, ont une garde noire de 20.000 hommes, le Ghana conquis en 1076 procure une ressource d’esclaves aux Almoravides, l’arabisation de la Mauritanie au 15ème siècle favorise la traite, le sultan du Maroc conquiert Tombouctou et Gao et dispose au 17ème siècle d’une armée de 150.000 mercenaires. Plus tard, l’émir Abd el Kader est protégé par une garde de 30 cavaliers noirs.
L’Américain R.A. Austen a proposé en 1979 le bilan suivant de la traite saharienne :

550-800
800-900
900-1100
1100-1400
150.000
300.000
1.740.000
1.650.000
1400-1500
1500-1600
1600-1700
430.000
550.000
710.000
Total


5.530.000

Cette évaluation ne fait pas le partage entre les régions destinataires. Il est probable qu’au moins les deux tiers passent par l’Egypte et la Lybie, pays exportateurs. Au 18éme siècle, le Maroc reçoit 8.000 esclaves par an, et sans doute 4.000 au 19ème siècle. Algérie et Tunisie sont un peu à l’écart du trafic, elles ne comptent respectivement que 18.000 et 30.000 esclaves noirs vers 1850.
En direction de l’Afrique du Nord, plusieurs routes sont établies à partir du Niger. La traversée du désert dure 2 à 3 mois, dans des conditions inhumaines ; la maladie ou la pénurie d’eau entraîne l’abandon des captifs. Des marchands ambulants appelés Djellabas, installés à Ghadamès ou dans le Touat disposent d’antennes à Gao ou à Kano, qui livrent aux dirigeants du Maroc, d’Alger et de Tunis des esclaves-soldats, des porteurs, des ouvriers agricoles ou miniers, des domestiques, des mulatresses et des eunuques pour les harems. On sait que la castration des eunuques, interdite par le Coran, était pratiquée dans les oasis du sud et se traduisait, selon certaines sources, par la mort de 80% des enfants capturés. La vente des captifs est pratiquée ensuite sur les marchés de Marrakech, Médéa, Biskra, et Kairouan. Le tarif moyen est de 12 esclaves ou un eunuque pour un cheval.
A ce trafic méridional, il faut ajouter les luttes tribales qui en Algérie se traduisent par des enlèvements de femmes et d’enfants ; Bugeaud n’est pas en effet l’inventeur des razzias, mais il exige parfois la livraison d’otages pour garantir la soumission d’une tribu.


En Europe, du 8° au 10° siècle 
L’invasion berbero-musulmane de l’Espagne en 711 se poursuit par l’occupation du Languedoc en 720 et du massif des Maures en 890. La conquête de ces territoires est précédée et suivie de raids de reconnaissance à cheval, de débarquements nocturnes et d’incursions dont le but est de faire du butin. Des opérations de va et vient rançonnent la Provence au début du 8ème siècle, elles s’aventurent dans les Alpes et en Italie. Les Sarrasins sont les maîtres de la Suisse et du Lyonnais pendant quelques années du 10ème siècle0. Des combats sanglants les opposent aux Séquanes et aux Allobroges. Se déplaçant avec femmes et troupeaux, ils établissent leur camp à Calluire, et de là ravagent toutes les villes jusqu’à Auxerre ; ils sont alors repoussés par l’archevêque de Sens.
Une fois installés, ils maintiennent les lois existantes, mais imposent un tribut annuel, le Kharrad, équivalant au dizième ou au cinquième du revenu. Des opérations d’été (sa’ifa) razzient les campagnes, détruisent les églises et les abbayes, et font des captifs. Souvent les hommes sont tués (à Gènes et Syracuse), les femmes et les enfants emmenés en esclavage ; 2.000 femmes sont les hôtesses du harem de Cordoue, et des écoles de captives convertissent les jeunes filles à la nouvelle religion. Parallèlement, des esclavons provenant de Russie sont émasculés à Verdun avant d’être livrés aux acheteurs de Cordoue.
Le pape Jean VIII promet en 878 le versement de milliers de pièces d’or. L’abbé de Cluny (Mayeul), capturé près de Rome en 972, est délivré grâce au versement d’une lourde rançon. On sait que ces opérations ont provoqué la panique sur les côtes méditerranéennes et suscité la construction de tours de défense ; 4.000 familles corses sont invitées en 829 à se réfugier à Rome. Les chansons de geste de Guillaume d’Orange font état de cette grande peur. La riposte européenne est conduite dès 732 par Charles Martel, qui reprend Avignon en 737, Narbonne en 759, et qui fait de la Franche-Comté une Marche contre les incursions sarrasines1. Les atrocités redoublent à l’approche de Charles Martel et de Childebrand. Les Arabo-musulmans sont finalement battus en raison des luttes internes entre Arabes et Berbères, et par manque de foi. Quelques familles se réfugient dans la forêt ou les marécages et font souche ; nombreux sont les localités ou les fermes qui conservent le nom de Sarrazin.

La piraterie, du 16° au 19° siècle
La reconquête espagnole ne met pas fin à ces incursions, mais elle s’accompagne, (comme l’a montré le professeur Toth) de l’intervention des corsaires ottomans en Méditerranée vers 1480, suivis des pirates barbaresques conduits par les frères Barberousse et par les Hornacheros réfugiés à Tanger. De Tripoli à Djerba et à Salé, les ports s’organisent pour la course. Kheir ed Dine bénéficie de la bienveillance de François 1er qui accueille à Marseille et Toulon 200 de ses navires ; des raids sont lancés sur Nice, Antibes (300 orphelins), la Corse et l’Italie. La piraterie se poursuit : les pirates de Salé saisissent 1.000 navires occidentaux au 16° siècle ; les équipages et les passagers remplissent les bagnes d’Alger, Tunis, Tripoli et Salé. On estime à 1,250 million le nombre des captifs détenus entre 1530 et 1780. Relativement bien traités sont ceux qui ont des métiers d’artisans, de locataires des harems2, des espoirs de rançon ou de conversion à l’islam, mais de nombreux galériens subissent les horreurs de la chiourme. Les esclaves chrétiens sont rachetés par les Trinitaires, les Mercédaires et les Lazaristes, tandis que les marines françaises, espagnoles et normandes lancent des bombardements de représailles contre les villes portuaires3. Après avoir libéré les esclaves musulmans détenus à Malte, Bonaparte en 1802 renouvelle la menace d’invasion de l’Algérie, et la flotte américaine intervient à Derna en 1804.. La prise d’Alger met fin à la piraterie, et le président Théodore Roosevelt reconnaîtra le grand service rendu à l’humanité par la France en 1830. Il ne reste alors que 122 captifs dans le bagne d’Alger.
Le dey de Tunis sera le premier en 1846 à décider, sans succès, l’abolition de l’esclavage, suivi par l’Algérie en 1848 et le Maroc en 1922.

II. LES DISPARUS DE LA GUERRE D’ALGERIE

Avant le 19 mars 1962
Au début de la guerre d’Algérie, le FLN est un mouvement minoritaire qui ne dispose que de 450 armes de guerre. Il a cependant l’initiative sur le terrain, il reçoit de l’armement du Moyen-Orient et s’attaque d’abord à des objectifs non protégés ; en 1955, 230 fermes et 40 écoles sont détruites. Ces destructions sont accompagnées de nombreux meurtres de civils français et d’environ 5 à 7 enlèvements par mois ; il est probable que la plupart des personnes enlevées ont été tués ; leurs corps n’ont pas été retrouvés. Dans le même temps une proportion équivalente de soldats français sont faits prisonniers dans les combats. Un communiqué du FLN (13 septembre 1957) précise que les prisonniers sont des otages, ils seront exécutés chaque fois qu’un fedayne (terroriste) sera exécuté . Certains prisonniers sont utilisés comme moyens de propagande auprès de leur famille. 42 prisonniers seront libérés par l’intermédiaire de la Croix-Rouge4 : 11 en 1958, 19 en 1959, 3 en 1961, 9 en 1962. Au total, 343 civils et plus de 300 militaires ont disparu de 1954 au 19 mars 1962 ; ils sont présumés décédés. Le décompte des musulmans disparus est beaucoup plus important ; il va de 1.000 à 2.000 par an de 1956 à 1960, sans que l’on puisse préciser les raisons des disparitions (certains ont pu quitter l’Algérie ou rallier la rébellion).

Après le 19 mars 1962
On sait qu’au début de l’année 1961, des activistes de l’armée et de la population européenne se sont opposés à la politique d’abandon du général de Gaulle. Le putsch des 4 généraux a échoué, mais l’Organisation Armée secrète (OAS) poursuit la résistance. Un mois après le cessez-le-feu du 19 mars 1962, on assiste vers le 17 avril à une recrudescence des enlèvements de civils européens, qui monte de 150 à près de 600 par mois. Le FLN, estimant que l’effort de la France contre l’OAS est insuffisant, aurait ordonné d’éliminer les partisans de l’OAS. Cette explication n’est que partiellement exacte. Il est vrai que la majorité de la population française a espéré que la résistance de l’OAS conduirait le gouvernement français à maintenir le statu quo. Mais à partir du 26 mars, date de la fusillade de la rue d’Isly contre des manifestants pacifiques, les Français de souche se détachent peu à peu de l’OAS. Le FLN poursuit cependant sa guerre, fidèle à son slogan « la valise ou le cercueil », mais pour ne pas porter atteinte aux accords d’Evian, il évite les attentats mortels ; les enlèvements sont ainsi une sorte de terrorisme silencieux. Le colonel Azzedine , responsable de la Zone autonome d’Alger (ZAA), reconnaît que « l’exode massif des Européens est dû aux enlèvements » (Et Alger ne brûla pas, p.217)
Cette campagne est perpétrée par des commandos de l’ALN, fortement retranchés dans les quartiers musulmans d'Oran et d'Alger où l'armée française a reçu l'ordre de ne plus pénétrer. Dans cette besogne, la Zone autonome d'Alger (ZAA) va se distinguer. Chaque soir, la ZAA met en chasse des voitures chargées des enlèvements, tandis que la wilaya 4 du colonel Hassan (Khatib Youssef) ordonne d'enlever 7 à 8 Européens dans chaque localité du bled. Environ un tiers des enlevés sont retrouvés, tous sont torturés dans des prisons clandestines et les deux tiers tués après interrogatoire ; certains sont vidés de leur sang. Cette campagne n'atteint pas les membres de l'OAS au centre des villes, mais elle touche les Français qui, sans distinction d'âge ou de sexe, résident dans les quartiers périphériques où les communautés cohabitent .
. Quatre charniers, baptisés tombes collectives par Azzedine, sont découverts dans la banlieue d'Alger. Le Comité des Affaires algériennes du 23 mai décide qu'il appartient au président Farès de faire en sorte que Si Azzedine cesse son action ou soit appréhendé. Cela reste un voeu pieux, mais les deux bataillons (2/23°RIMA et 12° BI) qui ont découvert les charniers sont déplacés. Selon le Conseil des ministres du 4 mai, en effet, l'intérêt de la France a cessé de se confondre avec celui des pieds noirs (A.Peyrefitte, C'était de Gaulle, p.124). Azzedine poursuit donc son action; il coopére avec la Mission Choc du Commissaire Hacq, avec les barbouzes du Talion, et avec les policiers ATO (auxiliaires temporaires occasionnels) recrutés par le FLN.
La psychose de terreur qui se répand est énorme et à cet égard, le but recherché est atteint. En faisant disparaître des Européens, on intimide la population pied-noire, on la pousse à l'exode. Les témoignages, les archives militaires et privées laissent penser que la population européenne fut indistinctement visée. Tout Européen passant dans les zones contrôlées par le FLN courrait le risque d’être enlevé. Du 17 avril au 1er juillet, le département d’Alger subit 404 enlèvements, celui d’Oran 237, l’ensemble des autres département 213. Selon Jean Monneret, témoin et historien, ce sont les attentats et les enlèvements qui ont facilité la purification ethnique.

L'anarchie de l'été 1962.
Les rivalités internes au FLN produisent dans toute l'Algérie une situation anarchique dans laquelle quatre pouvoirs (le GPRA, le Bureau politique de Ben Bella, les Wilayas et l’Exécutif provisoire) se font concurrence, qui ne sont pas toujours reconnus par les responsables locaux. Cette anarchie facilite tous les excès, ceux des wilayas, ceux des marsiens qui se sont ralliés tardivement, ceux des truands qui profitent du désordre. Le prétexte invoqué est toujours celui de la lutte contre l'OAS, alors que les commandos Delta ont quitté l'Algérie à la fin juin.
Les massacres du 5 juillet 1962 à Oran amplifient le cycle des violences. A onze heures, après des coups de feu dont l’origine n’est pas établie, la foule qui descend des faubourgs enlève des centaines d’Européens. Bien qu’il dispose de 18.000 hommes, le général Katz impose la consigne à la garnison d’Oran, ce qui facilite les disparitions; certaines unités militaires ne respectent pas la consigne (Rabah Kheliff) ; les autres n’interviennent qu’aux abords de leurs cantonnements ; l'engagement tardif des gendarmes mobiles ne peut empêcher ces enlèvements. Certains musulmans protègent leurs amis, mais des centaines d’Oranais disparaissent à tout jamais (environ 700).
Les enlèvements se poursuivent en août et septembre et diminuent ensuite. Mais les attentats contre les personnes se sont poursuivis après la prise de pouvoir de Ben Bella le 25 septembre 1962. 295 disparitions sont signalées de janvier à août 1963.
Le bilan des pertes met en tête les départements d’Alger et d’Oran, qui sont les plus peuplées d’Européens; le schéma par région montre ainsi que les wilayas 4 et 5 sont les plus virulentes. Ordre est donné en août à l'armée française d'aller chercher les Français isolés, de les ramener sains et saufs à la côte et de les embarquer (JM.Jeanneney, op.cit., p.164).

Les harkis, otages ou victimes ?
Les supplétifs massacrés en 1962 et privés ensuite de tout droit, ne sont pas des otages, mais des victimes de la politique française qui les maintient en Algérie, et surtout de la volonté d’élimination du FLN, dont ils contredisent le thème de l’unanimité du peuple algérien.
Quant aux harkis recueillis en métropole, ils n’ont certes pas bénéficié de conditions de confort correctes, mais les considérer comme détenus dans des bagnes de la honte est une contre-vérité, répandue actuellement par des filles de harkis qui rapportent les souvenirs de leur mère. Le terme d’otages ne leur convient pas comme le prouvent les déclarations de Mohand Hamoumou et de l’anthropologue Khemisti Bouneb 5.

Recherche des disparus.
- intervention armée interdite, sauf légitime défense ou attaque caractérisée (décision du Comité des Affaires algériennes du 21 juin 1962),
- familles restées sur place, arnaquées par des escrocs,
- consuls de France, gendarmerie, informations nombreuses, incomplètes
- associations : surestimations, faux espoirs,
- CICR, suite à rencontre col.Gonard - Ben Bella., 20 enquêteurs d’avril à septembre 1963, 1.200 enquêtes, 70% décédés, 20% présumés décédés. Rapport resté secret 40 ans.
- J. de Broglie le 7 novembre 1963 : pas plus de 1.800 Français disparus.
  • équipe MIR (2004-2006) dans archives diplomatiques, 3.781 fiches, 2.230 civils décédés dont 535 incertains,
  • vérification historien Jordi 2010 : 1.828 décédés dont 175 incertains et 72 corps retrouvés.
  • selon l'étude de Jean-Claude Rosso du 1er mars 2014 , 1619 civils et 415 militaires ont disparu du 1er novembre 1954 au 31 décembre 1962, dont avant le 19 mars 1962 : 371 civils et 327 militaires.
- Les archives concernant les militaires disparus ne sont pas ouvertes..

CONCLUSION

La pratique des enlèvements d’otages, dans l’Afrique du Nord, répond à plusieurs objectifs diversifiés : imposer un tribut à un potentat africain – obtenir un profit sous la forme d’une rançon, d’un emploi de soldat, d’artisan, de galérien ou de personnel des harems – exercer des représailles contre une exécution - terroriser une population pour la faire fuir. Dans la même ligne, on peut se demander si l’enlèvement des cisterciens de Tibhirine ne répond pas à une motivation de purification religieuse.

Bibliographie.
- M.Reinaud. Invasion des Sarrasins en France, et de France en Savoie, Piémont et Suisse. Librairie orientale de Paris ,Paris 1836
- Vingtrinier Aimé. L’invasion des Sarrazins dans le Lyonnais. Praxis-Lacour 1862
- Sausgruber L. Die Sarazenen von Spanien bis nach Vorarlberg. 1921
- Charles-Roux François. France et Afrique avant 1830. Alcan, 1932
- Lacam Jean. Les Sarrazins dans le Haut-Moyen-Age français.
Maisonneuve et Larose 1965
- Braudel Fernand. La Méditerranée et le monde occidental à l’époque de Philippe II 
                            A.Colin 1979
- Renault François et Daget Serge. Les traites négrières en Afrique. Karthala 1985
- Julien Charles-André. Histoire de l’Afrique du Nord des origines à 1830.
                                           Payot 1994
  • Mantran Robert. L’expansion musulmane. PUF 1969, réed.1995
  • Dufourcq Charles-Emmanuel. La vie quotidienne dans l’Europe médiévale sous domination arabe. Hachette 1978
  • Yelen Anne. Islam, la face d’ombre. Ma nuscrit 1984
  • Heers Jacques. Les Barbaresques, la course et la guerre en Méditerranée.
  • Les négriers en terre d’Islam. Perrin 2001 et 2004
  • Davis Robert C. Christian slaves, Muslim masters. Macmillan 2003.
  • Chambon 2006
  • Monneret Jean. La phase finale de la guerre d’Algérie. L’Harmattan 2003
  • Rouby René. Otage d’Amirouche, la mémoire retrouvée. Lavauzelle 2004.
  • Lewis René. Islam. Gallimard, 2005
  • Faivre Maurice. Rapport sur les disparus de la guerre d’Algérie. Novembre 2006
  • Chebel Malek. L’esclavage en terre d’Islam. Fayard, 2007
  • Milton Gilles. Captifs en Berbérie. Payot 2008
  • N’Diaye Tidiane. Le génocide voilé. Gallimard 2008
  • Lugan Bernard. Histoire de l’Afrique. Ellipses 2009
  • Botte Roger. Esclavage et abolition en terre d’Islam. Bruxelles 2010
  • Mathias Gregor.Les vampires à Alger, Oran, Tlemcen. Etudes coloniales, mars 2011.
  • JC Rosso. Disparus civils et militaires. Message du 4 mars 2014.

    Notes
0 selon les historiens suisses, ils auraient atteint Coire et le Vorarlberg, et auraient été chassés en 972 du Grand Saint Bernard, où ils avaient établi un péage, par Bernard de Menthon.
1 Pline l’Ancien situe les Sarrasins en Arabie du Nord ; ce sont des pasteurs, supposés descendre d’Ismaël, fils d’Abraham et de sa servante Agar ; ils désignent au Moyen Age les envahisseurs arabes. Le terme de Maure sera utilisé pour les Almoravides qui interviennent en Espagne, venant du Sud-Marocain, en 1086.
2 Pour la petite histoire, il est plaisant d’évoquer les aventures de certaines captives qui eurent une destinée de sultane. C’est le cas de Marthe Franceschini, la sultane corse, enlevée en mer par des pirates marocains en 1792 et offerte au sultan Moulay Slimane qui en fit son épouse. A la même époque, la fille d’un gentilhomme, colon de Martinique, Aimée du Bac de Rivery, enlevée par des Algériens vers 1790, fut offerte par le dey Baba Mohammed au sultan de Constantinople Abd-ul-Hamid, dont elle devint la favorite et sultane Validée (c’est-à-dire douairière). Elle lui donna un enfant qui en 1809 devint le sultan Mahamoud II.
3 Pour le Roi de France, il s’agit de faire sentir la force de ses armes à un barbare, en l’attaquant dans son propre pays. C’est ce que Bossuet confirme, dans son oraison funèbre de la reine Marie-Thérèse : « Alger, riche des dépouilles de la Chrétienté…tu cèderas ou tu tomberas sous ce vainqueur…Tu rends déjà tes esclaves. Louis a brisé le fer dont tu accablais tes sujets… ».
4. Lettre de René Rouby, prisonnier d ‘Amirouche, à sa famille, : « J’ai toujours été bien nourri et bien traité. Ils sont gentils avec moi » (7 février 1959).
Ferhat Abbas ayant demandé à adhérer aux Conventions de Genève , le Président du CICR lui écrit le 28 mai 1958 et le 16 novembre 1960 que les conditions imposées, en particulier pour la visite des prisonniers par la Croix-Rouge, ne sont pas respectées par le GPRA. Le Croissant rouge algérien, consulté, s’estime impuissant en raison de l’absence de liaisons avec les wilayas sur le terrain.
5  Pour avoir vécu personnellement avec mes parents harkis dans différents camps, je pense qu’il y a eu une très grande exagération à propos de ces milieux fermés... Parmi les dirigeants de ces camps, souvent d’anciens militaires pieds noirs ou français de souche, il y avait des gens formidables et dévoués qui ont eu envers les harkis et leurs familles des conduites tout à fait remarquables…Certes les camps n’étaient pas des hôtels 3 étoiles ni des  « clubs méd. ». Ils étaient constitués de baraquements rudimentaires et il y régnait une discipline stricte, mais ils répondaient aux exigences du moment à savoir la prise en charge globale des familles rapatriées dans l’urgence. Malheureusement les camps n’ont que trop perduré (plus de 20 ans pour certains) et les harkis et leurs familles ont été tout bonnement «oubliés ».

lundi 13 octobre 2014

Rappels chronologiques sur l'histoire des harkis

Rappels chronologiques sur l'histoire des harkis

La lecture de l'histoire des harkis sur le Web, et les ouvrages récents, imposent de préciser certains faits d'histoire qui sont ignorés ou présentés de façon erronée1. Ils sont rappelés ici de façon succincte ; chacun peut faire l'objet de développements explicatifs.
- de 1954 à 1956, des organisations diversifiées de forces supplétives ont été créées sous l'impulsion de J.Servier, J. Vaujour, du général Parlange et du Gouverneur Soustelle, puis du général Lorillot et du bachaga Boualem.
- à la fin de 1957 et au début de 1958, le général Salan attribue des armes de guerre à des harkas dites amalgamées (environ 20.000 hommes) ; il refuse la création de harkas autonomes.
- fin 58 et début 59, le général Challe obtient de porter les effectifs de 33.000 à 60.000 harkis, crée des commandos de chasse à base de harkis et envisage de fédérer autodéfenses et unités territoriales ; à Paris le capitaine Montaner met sur pied la Force de police auxiliaire. En mai 1959 sont créés des Quartiers de pacification confiés à des SAS renforcées.
- le 5 janvier 1961, le général Crépin privilégie l'avenir des harkis et promet qu'ils ne seront pas abandonnés ; le total de 120.000 supplétifs armés est atteint, mais des réductions d'effectifs sont alors programmées. Au total 3.270 supplétifs ont été tués au combat ou par attentat.
- le 23 mars, le général de Gaulle subordonne l'aide de la France à la liberté des « musulmans fidèles » (sic). En mai-juin, Bernard Tricot et les diplomates se préoccupent de leur protection.
- les décrets du 30 mars, 31 octobre et 6 novembre 1961 assimilent les services supplétifs au service militaire et en règlementent l'administration ( contrats renouvelables de 1 à 6 mois). Les SAS sont démilitarisées et transformées en Centres d'aide administrative en janvier 1962.
- en novembre 1961 à Bâle, le FLN promet qu'il n'y aura pas de représailles.
- le 10 mars 1962, le ministre Messmer propose trois solutions d'avenir ; des centres d'accueil sont créés en Algérie ; l'ordre de désarmer les harkis est prescrit le 13 mars.
- un arrêté du 30 mars institue la force locale, dite Force de l'ordre. 114 GMS, 114 unités d'appelés musulmans et 110 pelotons de gendarmerie y sont affectés. Elle comprend 37.000 hommes, encadrés par 456 officiers et 800 sous-officiers français, 229 et 2.166 cadres musulmans. En juillet, 113 unités passent à l'ALN, emportant 25.300 armes de guerre et 590 véhicules. Tous les GMS ne se rallient pas au FLN.
- le 11 avril, le ministre Louis Joxe privilégie le maintien en Algérie du maximum de supplétifs ; le 19 avril, il rejette le plan Massenet de rapatriement. La grande majorité des supplétifs fait confiance au gouvernement et rejoint son village. Les wilayas promettent le pardon mais planifient la condamnation des supplétifs.
- les massacres de harkis commencent le 19 mars et redoublent de violence en juillet ; l'estimation de 150.000 tués (contrôleur de Saint-Salvy) est jugée fausse par l'historien X.Yacono ; plusieurs historiens font un bilan de 60 à 80.000 morts, mais leur estimation n'est pas vérifiable.
- le 12 mai les ministres Joxe et Messmer condamnent les initiatives de rapatriement.
- le 26 mai, Messmer accepte d'ouvrir le camp du Larzac « pour trois mois » (et Bourg Lastic le 19 juin), le service civil des rapatriés étant chargé de l'accueil. 11.000 personnes y sont installées en juillet.
- le 21 juin, le Comité des Affaires algériennes s'oppose aux initiatives d'intervention, ce qui revient à une non-assistance aux personnes menacées. Priorité est donnée à l'accueil des rapatriés européens.
- le 3 août, un conseil restreint de gouvernement confie à l'armée l'hébergement et le reclassement des supplétifs rapatriés. Cette décision tardive explique les improvisations de 1962, qui ont peu à peu été corrigées. D'autre solutions que des camps militaires auraient pu être choisies (centre mobilisateurs). Les rapatriés musulmans doivent faire une déclaration recognitive de nationalité ; les crédits d'aide individuelle sont attribués au financement des camps de transit.
- le 19 septembre 1962, le premier ministre Pompidou prescrit d'assurer le transfert des supplétifs menacés et d'accélérer leur recasement en France.
- les rapatriés de Larzac et Bourg-Lastic sont transférés en octobre à Rivesaltes et St Maurice l'Ardoise, où transitent 22.000 et 10.000 rapatriés musulmans. Ils sont logés dans des tentes avant que des baraquements ne soient construits. Le général de Segonzac et le préfet Perony prescrivent la formation professionnelle des hommes, ménagère des femmes, scolaire des enfants. La surveillance des camps, destinée éviter la pénétration de militants politiques, est nécessaire mais insuffisante. Le Comité national des Musulmans Français est créé en mars 1963 sous la direction de M.Parodi.
- les camps dits de transit sont fermés à la fin de 1964 et les rapatriés sont dispersés dans les départements industriels ou dans les hameaux forestiers (72 hameaux en 1966 avec 9.815 personnes, 30 hameaux en 1975 avec 5.200 personnes, 5 à 9 hameaux en 1985 avec 134 familles soit 800 personnes).
- les rapatriés incasables pour cause d'inaptitude sont hébergés dans les centres d'accueil de Bias (créé en janvier 1963), et St Maurice l'Ardoise créé en 1965.
- en 1972, le rapport de l'ethnologue Servier fait état de la surnatalité, des retards scolaires et des conflits de génération. La sénatrice Anne Heinis rapporte le grand dévouement des monitrices. Le lieutenant Yvan Durand se distingue dans le sud-est (Ongles, Mouans-Sartoux et Sallerans)
- au total, 21.100 supplétifs ont été rapatriés (66.000 avec les familles) selon le rapport au gouvernement de février 2006. La relégation prolongée dans des « réserves d'indiens » est une légende non fondée (voir tableau des effectifs). Les 42 cités urbaines créées par la Sonacotra ou la SNCF ne sont pas des prisons, mais des logements type HLM où résident 26 % de harkis ; des assistantes sociales y sont mises en place pour faciliter l'adaptation des familles à la société française. En 1975, il ne reste que 640 personnes à Bias (1.852 personnes sont sorties du centre) et 204 en 1992. Ce sont ces reliquats qui se révoltent en 1975 et 1990, révoltes fomentées de l'extérieur, qui aboutissent à la décision de fermeture des centres d'accueil et des hameaux forestiers en 1976.
- des Services d'accueil se sont succédé de 1962 à 1981 (SFIM, ONASEC, BIAC, DNAS). Parallèlement, de nombreux rapports d'enquête se sont préoccupés de l'intégration des harkis (Prioux et le CES en 1963, Barbeau en 1973, Leveau-Meliani en 1991, Rossignol en 1994, Diefenbacher en 2003, l'IGAS en 2005, la MIR en 2006). Le ministre Hernu met en place en 1985 des appelés éducateurs et aides à l'emploi. Les ministres Santini et Cabana consentent un effort financier appréciable ; en 1994, le plan Romani favorise l'acquisition de la résidence principale. Un statut des victimes de la captivité et une aide aux veuves sont adoptés. De nouveaux avantages sociaux sont accordés par madame Aubry
- le 21 février 1963, le colonel suisse Gonard, vice-président du CICR, rencontre Ben Bella ; il obtient la libération de 300 harkis ; il lance une enquête sur 1.200 disparus ; d'avril à septembre 1963, 20 délégués du CICR, en marge de cette enquête, visitent 2.500 harkis emprisonnés. Leur rapport, resté secret jusqu'en 2003, conclut que 70 % à 90 % des disparus sont décédés. 500 harkis sont libérés en décembre 1965.
- le 9 décembre 1990, le gouvernement socialiste rend hommage aux harkis aux Invalides et diffuse le timbre « Hommage aux harkis soldats de la France ».
le 11 novembre 1996 le Président Chirac inaugure le monument du Chapeau Rouge ; en 2001 il institue la journée d'hommage aux harkis du 25 septembre ; il reconnaît que « la France n'a pas su sauver ses enfants ».
- la loi algérienne 99-07 du 5 avril 1999 retire les droits civiques et politiques des personnes ayant eu des positions contraires aux intérêts de la patrie.
- le 16 juin 2000, le président Bouteflika compare  les supplétifs aux collabos de la 2ème guerre mondiale (déclaration à FR2),
- le 28 septembre 2003, un décret fixe au 5 décembre la journée d'hommage aux morts de la guerre d'Algérie.
- le 23 février 2005, est votée la loi reconnaissant les souffrances et les sacrifices des combattants des forces supplétives.
- le 8 septembre 2005, le président Bouteflika déclare à l'AFP à Oran : "nous avons commis des erreurs à l'encontre des familles et des proches des harkis...Nous avons suscité en eux un sentiment de haine et de rancune".
- le 25 septembre 2013, l'ONAC a présenté aux Invalides une exposition sur « le parcours des harkis et de leur famille ».


Pièces jointes.
Témoignages ( Med. Harbi, Officiers, Bouderbala, A.Heinis, M.Hamoumou, K.Bouneb, Temps modernes nov.2011, Colloque de nov. 2013).
Chronologie des archives Messmer
Rapport Massenet
Courbes des effectifs
Situation des effectifs sortis de Bias (15 décembre 1966)

TEMOIGNAGES

Mohammed Harbi

La motivation sécuritaire est fondée sur les exactions et les injustices imposées par le FLN, et que Mohamed Harbi a rappelé : « les méthodes répressives et les injustices du FLN apparaissent comme les motifs principaux de l'engagement massif des harkis ». Il semble bien que la majorité des supplétifs s'est engagée pour protéger leur famille et maintenir la paix dans les villages.
Mohamed Harbi a montré également l'existence en Algérie de forces sociales indifférentes à l'idée de nation; la population des campagnes était davantage attachée au clan et à la famille qu'à la notion d'indépendance. L'idée nationale a pu inspirer des responsables élus, ou des évolués touchés par la propagande du FLN, tels que Youcef du Commando Georges ; elle ne touchait pas la majorité rurale des harkis. Mohammed Harbi confirme que « le nationalisme algérien n'a trouvé son unité qu'en 1962 ».
Certains harkis rencontrés à la prison de Lambèse avaient été retournés. Il faut donc éviter de traiter les harkis de traîtres et de collabos (Temps modernes de novembre 2011)

Le jugement des officiers

En février 1958, les Commandants de Corps d'armée et de Divisions, unanimes à reconnaître les services rendus par les harkas, estiment nécessaire leur accroissement...Instrument indispensable de la pacification, les harkas sont la préfiguration de la participation effective de la masse musulmane à la lutte contre la subversion.
Le général Parlange écrit : «Très vite, nous fûmes frappés par la valeur combattive de ces hommes courageux ; ils se montrèrent aussi capables d'attaquer et de pourchasser vigoureusement les rebelles que de défendre leurs propres familles et leurs biens.
Alors on décida de les armer plus fortement et de les encadrer. Les premiers résultats obtenus furent convaincants, le contact fut repris avec des populations jusque là abandonnées à elles-mêmbes, les exactions rebelles se raréfièrent, la sécurité locale s'améliora...la confiance et l'espoir renaissaient.
Quant à la combativité des premiers harkis, on put en juger sur le fait qu'ils perdirent en quatre ans la moitié de leurs effectifs».
Jugeant les GMPR, le gouverneur Soustelle estime que « chacun a eu son histoire, souvent tragique, souvent héroïque....Ces Arabes, ces Berbères ne haissaient pas la France, ils se sont battus et souvent sont morts pour elle à côté de leurs camarades de métropole »
« Les musulmans sont les meilleurs chasseurs de fellagas...ils sont ardents et sûrs dans la mesure où ils sont bien commandés », affirme le général Challe.
Le général Olié, qui en 1956 s'était appuyé sur les djemaas pour lancer la formation de supplétifs en Kabylie, estime en 1959 les harkis du Constantinois" ardents au combat, faciles à commander...Souvent amalgamés, ils ont pris conscience de leur rôle sur le plan opérationnel ". Le général Vézinet confirme que les harkis "éléments solides, sont déterminés au combat contre le FLN qui est leur ennemi personnel"(2 T94).
Les harkis constituent un important appoint, estime le général Massu, dont la qualité et la valeur opérationnelle conditionnent l'emploi...leur loyalisme dépend de notre attitude et de notre constance. Le général Crépin souligne l'aptitude des commandos à poursuivre les rebelles dispersés en terrain difficile...Le harki est pour lui l'auxiliaire direct du combattant régulier, grâce à sa rusticité, sa connaissance de l'adversaire, ses liens avec la population.
Pour le général Gouraud à Constantine, « les harkis sont bien adaptés aux unités...leur fidélité est éprouvée, ils sont attachés à leur chef direct...inquiets de l'avenir, et soucieux du sort de leur famille ». Selon le général de Pouilly à Oran, les musulmans donnent satisfaction, ils sont sensibles à l'absence de toute discrimination raciste, et à la fraternité réalisée.
Le général Crémière, qui dans le Secteur de Bordj-bou-Arreridj disposait de 1600 harkis, les classa en trois catégories: Fortement armée, la première comptait une dizaine de harkas constituée par les hommes d'une même tribu, voire d'une même famille...D'un niveau opérationnel remarquable, il n'était pas rare de les associer aux opérations de Secteur. La 2ème catégorie concernait des harkas encadrées par quelques militaires français...elles participaient aux opérations de fouille et de bouclage. On en comptait une vingtaine. La 3ème catégorie s'apparentait plutôt à des autodéfenses renforcées. Ces harkas constituaient pour nous la première et irremplaçable source de renseignements.
« Les harkas n'étaient pas des unités d'assaut, écrit le général François Meyer, chef du commando Griffon dans le Sud-Oranais. Mais elles constituaient une infanterie légère, rustique, sobre et résistante, connaissant bien son terrain, la langue et les usages de sa région, et excellente dès lors qu'il s'agissait d'observer et de détecter le moindre mouvement insolite, de débusquer et de poursuivre l'adversaire...Sait-on combien de fois, des troupe régulières, et même réputées, tombées comme d'autres en embuscade, n'ont retrouvé leurs agresseurs et repris leurs armes que grâce à l'engagement de harkis, guetteurs, pisteurs ou interprètes ».Selon le colonal Quinart, le commando Griffon « tient un rôle des premier plan dans l'activité opérationnelle du Secteur de Géryville....Les djounoud sont rattrapés et abattus, l'armement perdu récupéré.
Autres supplétifs spécialisés dans le renseignement, les éclaireurs spéciaux du colonel Lemonnier travaillent au profit du colonel Ruat du CCI. Composés en partie de ralliés, ils utilisent toutes les ruses de guerre pour pénétrer les réseaux ennemis. Cette tâche ingrate du renseignement est suspectée de toutes les perversités ; l'usage de la torture est exclu. Les interrogatoires se déroulent sans précipitation ni brutalité.
Les harkas, selon le colonel Geminel, commandant le Quartier des Portes de Fer, faisaient partie intégrante du dispositif militaire du Quartier....Plusieurs étaient commandées par les maires des villages, telle la harka adaptée au commando de chasse V64, et dont le chef était le maire d'Harraza, dit "le Lion de la montagne". Les harkas menaient souvent des opérations indépendantes, de jour et de nuit, sous l'autorité de leurs chefs, en général pour recueillir des renseignements auprès des populations...Elles participaient au combat des compagnies, à l'intérieur des sous-quartiers. A chaque opération mettant en jeu le bataillon complet...elles étaient souvent intégrées aux compagnies, pour remplacer les effectifs qui devaient être laissés à la garde des postes...
Les auxiliaires de la X° Légion de gendarmerie « constituent un appoint appréciable grâce à leur connaissance du pays, des gens et de la langue ».
Le capitaine Ontrup rappelle que la SAS de Catinat « décida d'armer 18 femmes, qui devinrent vite des tireurs chevronnés...le couronnement fut une sortie à 5 km en zone interdite..Par la suite les femmes participèrent à quelques protections de convoi...Traitées de sâles Françaises, elles devenaient les informatrices les plus sûres pour la SAS et le 2ème Bureau ».
Le général Bienfait évoque la première SAS créée à Ain Taier. « Il faut d'abord mettre sur pied un maghzen. Ce groupe de supplétifs va très vite devenir un unité de combat digne des traditions de l'armée d'Afrique. Trois d'entre eux seront tués au combat, onze seront blessés et 18 citations attribuées à ces montagnards qui n'avaient demandé qu'à vivre en paix ».
Le général Communal, commandant la zone ouest oranaise, reconnaît les mérites du commando Yatagan de la DBFM. «  Toujours prêt toujours sur le terrain, infatigable, poursuivant inlassablement les rebelles, il a fait preuve d'une activité débordante, d'un mordant exceptionnel» .

Tahar Bouderbala. Les dures années du plan Challe

Texte de Daho Djerbal (historien) : La période du plan Challe et des opérations de ratissage demeure une des plus grandes épreuves qu'aît connue l'ALN mais aussi l'ensemble de ses réseaux de soutien et de ses forces auxiliaires...Comme dans toute révolution, l'enjeu central est le contrôle exercé sur le peuple. Parallèlement au plan Challe, dont l'objectif apparent était militaire, le plan de Constantine avait été lancé pour tenter de gagner les populations à une logique d'intégration économique et sociale...Les dirigeants des maquis voyaient bien que l'objectif final était de couper les unités de l'ALN des masses rurales qui constituaient leurs bases stratégiques, à les isoler pour pouvoir mieux les détruire....
Daho Djerbal : Avec le temps, l'étau de l'armée coloniale s'est mis à se desserrer. Mais les temps avaient changé et il fallait compter avec les unités de goumiers auxiliaires de l'armée française qui voyaient leurs rangs grossir.
Bouderbala (Commandant ALN, wilaya 2) : Avec le temps, nous dûmes faire face en plus aux harkas qui connaissaient nos moeurs et notre mentalité. Ils arrivaient à démonter nos réseaux de soutien et retrouver nos relais. Ils montaient même contre nous des embuscades la nuit tombée. C'était des harkas recrutées sur place. Elles connaissaient le terrain aussi bien que nous. Ce n'était pas comme auparavant des unités d'autres régions affectées pour servir dans le Nord-Constantinois. A Katina on trouvait même des femmes dans les unités de harkas. Lorsque de Gaulle était venu faire sa "tournée des popotes", ce sont ces harkas avec des femmes en tenue militaire qui l'accueillirent..
Djerbal : Avec ce retournement de la situation, les rapports hiérarchiques entre base et sommet ont été gravement perturbés. L'effet du rouleau compresseur de la nouvelle stratégie contre-insurrectionnelle a laissé de profondes blessures dans les rangs de l'ALN. Selon les dires des responsables du Nord-Constantinois, plus de la moitié des effectifs a été perdue. Les populations, elles aussi, ont du payer un lourd tribut.

Le sénateur Heinis
L'austérité commune partagée aura pour effet de créer dans bien des cas, écrit Madame Heinis, des liens de solidarité très étroite entre les harkis et ceux (les cadres) qui s'occupent d'eux...La bonne volonté éducatrice de certaines monitrices est débordante; elles veulent tout enseigner d'un seul coup (p. 90-96).
Dans sa thèse de 1977, madame Heinis décompte comme suit l'équipement des familles dans les hameaux forestiers et les cités immobilières : 82 % ont un réfrigérateur, 69 % la télévision, 71 % une machine à laver, 41% une voiture et 25 % une mobylette.

Mohand Hamoumou
Hamoumou confirme : J'ai connu un de ces hameaux...Les avis sont unanimes : les cours de français, de puériculture, de cuisine pour les épouses, les discussions des hommes avec le chef de camp, ont été très utiles. Tous en gardent un excellent souvenir. Peut-être parce que, de ce hameau, tous sont partis quelques semestres après .
En 1990, Mohand Hamoumou relate la réussite de 1.100 harkis dispersés dans des villages du Puy de Dôme.


Khemisiti Bouneb
- L'anthropologue Khemisti Bouneb a relaté les difficultés de l'installation : « Pour avoir vécu personnellement avec mes parents harkis dans différents camps, je pense qu'il y a eu une très grande exagération à propos de ces milieux fermés. Les chefs et les monitrices n'étaient pas des monstres ou des sadiques comme le prétendent certains ! Beaucoup ont accompli leur mission correctement.
« Parmi les dirigeants de ces camps, souvent d'anciens militaires pieds-noirs ou français de souche, il y avait des gens formidables et dévoués qui ont eu envers les harkis et leurs familles des conduites tout à fait remarquables.
« Certes ces camps n'étaient pas des hôtels trois étoiles ni des Club Med. Ils étaient constitués de baraquements rudimentaires et il y régnait une discipline stricte, mais ils répondaient aux exigences du moment, à savoir la prise en charge globale de familles rapatriées dans l'urgence. »
Bouteflika
En juin 2000, le Président algérien compare les harkis aux collaborateurs. Comparaison non pertinente selon Mohammed Harbi.
Le 2 septembre 2005, Boutef. reconnaît que de graves erreurs ont été commises en 1962 vis-à-vis des familles de harkis qui ont été massacrées. Les enfants de harkis ne sont pas responsables des actes de leurs parents.

Temps modernes de nov. décembre 2011
Claude Lanzmann regrette sa posture partisane d'autrefois, et parfois son aveuglement, quand il traitait les harkis de « chiens de l'humaniste Papon ».
Benjamin Stora reconnaît le rôle initiateur de Jean Servier et souligne que la terreur pratiquée par le FLN à Melouza a entraîné une contre-terreur. Sacrifiés par peur de l'OAS, ce qui reste à prouver, les harkis ont été écrasés par les Algériens en 1962.
Mohammed Harbi estime que l'identité du lignage ou de la confrérie était beaucoup plus forte que l'identité nationale des Algériens.
Mohand Hamoumou rend hommage à André Wormser qui s'est dévoué pour l'intégration des harkis. « Victimes de la raison d'Etat, ils ont des droits sur nous ». Les travaux historiques montrent que les harkis n'étaient pas opposés à l'indépendance de l'Algérie ; ils n'étaient pas les collaborateurs du colonialisme. Le régime de parti unique et la réécriture de l'histoire ont trahi les idéaux de la Révolution algérienne .
Colloque de novembre 2013.
La Fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie a organisé les 29 et 30 novembre 2013 un colloque très complet sur l'histoire des supplétifs depuis 1830 à nos jours. Les Actes de ce colloque méritent la lecture.


RAPPORT MASSENET
du 10 avril 1962

La Commission interministérielle présidée par le Conseiller d'Etat Michel Massenet se réfère à la déclaration du ministre des Armées Messmer du 21 février 1962 :
« Le recasement en métropole des personnels libérés de leur contrat sera organisé...
Les décisions à prendre concernent l'emploi, la formation professionnelle et le logement »
La commission comprend des représentants des ministères de l'Intérieur, des Armées, des Affaires algériennes, des Rapatriés et du Commandant supérieur en Algérie.
Elle évalue les effectifs concernés à 26.000 engagés volontaires, 45.000 supplétifs et 18.000 moghaznis et souligne que 98 % des supplétifs sont illettrés.
Les questions à traiter sont les suivantes :
des mesures de protection en Algérie, par regroupement dans des zones temporaires de sécurité,
la liberté de circulation, alors que des autorités préfectorales s'y opposent,
le transport par voie maritime, à raison de 8 à 10.000 personnes par semaine,
l'accueil en métropole, où les moyens disponibles sont dérisoires, exige la création de cités de transit et le recours à des camps militaires,
l'aide sociale requiert un encadrement d'anciens SAS et de renforts des CAT, et pose un sérieux problème de sécurité,
des reclassements sont possibles dans l'agriculture, dont l'ONF, et dans l'industrie, ce qui nécessite une préformation confiée aux militaires,
le logement définitif pose un problème ardu; une phase transitoire est souhaitable dans des cités évolutives, où la proportion des musulmans serait de 10 %.

En conclusion, la commission souligne la gravité et l'urgence du problème ; c'est une question de vie et de mort, qui doit être réglée dans les 60 jours à venir. La protection assurée est illusoire ; il n'y a pas de crédits pour le transport et le logement. Il faut des moyens budgétaires et un statut de réfugiés. Le Secrétariat d'Etat aux rapatriés n'y est pas préparé.
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Commentaire

Ce rapport relativement pessimiste montre bien la difficulté du recasement des supplétifs. Bien qu'il ait été rejeté par le gouvernement le 19 avril, il proposait des solutions qui seront reprises en Algérie et en métropole en 1962. Il est évident que l'adaptation à la vie française (emploi salarié, habitat moderne, condition féminine, sécurité sociale et matérielle, laïcité) de ruraux illettrés, exigeait une période de formation par des personnels connaissant leur culture et leur mentalité. Il est vrai qu'une grande partie des hommes comprenait le français, mais pas les femmes ni les enfants, habitués à la vie dans des mechtas rudimentaires. Des périodes de transit pour la majorité, et des centres d'accueil pour les incasables étaient des solutions raisonnables. Les directives du général de Segonzac et du préfet Perony répondaient à ces besoins. Les décisions tardives du gouvernement ont imposé une improvisation regrettable. Les travaux forestiers étaient adaptés aux capacités des supplétifs ; l'erreur initiale a été de les implanter loin des localités françaises.
Voir les avis de Bouneb et Hamoumou.

EFFECTIF DES HARKIS RAPATRIES

- de juin à septembre 1962, environ 6.000 et 5.000 supplétifs avec leurs familles, sont hébergés dans les camps militaires de Larzac et Bourg-Lastic.

- en octobre 1962, des camps de transit sont ouverts à Rivesaltes (9.620 rapatriés), St Maurice l'Ardoise ( 4.800 rapatriés) et la Rye (200 rapatriés).

- en mars-avril 1963, ces camps hébergent 7.300 , 3.000 et 700 rapatriés. Ils sont fermés en décembre 1964.

- des camps d'accueil pour incasables sont ouverte à Bias en mars 1963 ( 1.300 personnes) et à St Maurice l'Ardoise en janvier 1965.

- en 1965-66, ces camps hébergent 834 et 800 personnes. 1.852 rapatriés sont sortis de Bias.
En 1975, ces camps d'accueil hébergent 640 et 800 personnes. Ils sont fermés à la fin de l'année.

- en octobre 1962 ont été ouverts 40 hameaux forestiers, ils comptent 3.968 personnes en avril 1963. En 1975, 72 hameaux hébergent 9.815 personnes ; en 1975, 30 hameaux hébergent 5.200 personnes ; en 1975, 30 hameaux comptent 5.200 personnes, et en 1985 il reste 800 personnes dans 9 hameaux.

Le total des supplétifs rapatriés passe de 21.000 fin 1962 à 40.000 en 1963, 66.000 en 1965,
180.000 en 1975, 210.000 en 1985 et 400.000 en 1990.

Ces chiffres sont des ordres de grandeur qui sont à préciser. Ils montrent qu'en 1965, les résidents des camps de transit ont été dispersés dans les départements, qu'en 1975, 4 % des supplétifs sont encore encadrés par des militaires, et qu'en 1985, cette proportion est de 1 %.