mardi 24 juin 2014

bibliographie Alain Roux

SALAN
Quarante années de commandement
Pierre Pellissier PERRIN 26 €

Parker du général Raoul Salan est un exercice encore dangereux aujourd’hui, pourtant ce personnage de l’Histoire de France est une figure incontournable. Le jeune officier commence sa carrière d’une manière qui explique la suite : la responsabilité d’un territoire isolé dans le Haut-Tonkin. Tous ceux qui ont connu les Affaires Indigènes ou les « postes coloniaux » savent ce que cela signifie. Le « renseignement » ensuite de 1937 à 1943 complète la formation de cet officier qui aura à la fois des amitiés durables et des adversaires ne jugeant que sur sa singularité. Ensuite sont développées les deux grandes parties de sa vie, les grands commandements en Indochine puis celui de l’Algérie française. En Indochine, entre Leclerc, Thierry d’Argenlieu et Hô Chi Minh, il mène en 1946 une partie difficile face à des acteurs politiques qui se moquent des populations malgré leurs discours. Ce terrible épisode est souvent minimisé. Plus tard, comme adjoint de de Lattre de Tassigny puis comme son remplaçant il fait ce qu’il peut avec les moyens disponibles. Là aussi de nombreux épisodes sont oubliés actuellement, il est vrai que 60 ans c’est loin pour beaucoup. Enfin le grand commandement en Algérie est bien expliqué, avec ses facteurs contradictoires. En particulier les événements du 13 mai 1958 sont évoqués avec un grand nombre de détails, mais en oubliant quelques-uns. L’évolution, apparente, du Président De Gaulle est assez bien décrite. Les préparations de la révolte du 22 avril 1961 et ce qui s’ensuit apprendront beaucoup à ceux qui ne connaissent pas l’Histoire, mais feront sursauter quelques-uns pourtant jeunes à l’époque. La période de l’OAS est bien résumée et surtout la conclusion est juste : l’OAS n’avait pas de projet politique. L’histoire du procès du général Salan est détaillée bien que connue. En résumé cette biographie du général Raoul Salan fera connaître aux moins de 60 ans deux périodes cruciales de l’Histoire de la France et rappellera aux autres un temps où, trop jeunes, ils ne connaissaient pas le dessous des cartes : le sous-titre du livre aurait dû être plutôt Vingt années de luttes contre l’abandon.
Ce livre est indispensable pour ceux qui veulent aller au-delà des discours officiels.

Alain J. ROUX

La Grande Guerre
Fin d’un monde, début d’un siècle
François Cochet PERRIN Ministère de la Défense 25 €

A l’heure où prolifèrent les ouvrages relatifs aux combattants de la guerre de 1914-1918, souvent intéressants d’ailleurs, cet ouvrage de synthèse, en 517 pages, résume assez bien toutes les études faites depuis une vingtaine d’années, et qui ont renouvelé l‘étude de cette période. C’est dire d’entrée qu’il est utile pour un public abreuvé de clichés. L’auteur est bien connu des spécialistes. Sur la forme, précisons qu’il est imprimé en caractères lisibles, que la bibliographie est substantielle, les schémas bien faits, mais que les notes abondantes sont reportées en fin de volume. Sur le fond, le découpage des périodes reprend ce qui commence à être utilisé chez les historiens -et que j’ai schématisé en 2008- : l’avant-guerre, les années du conflit militaires principal de 1914 à 1918, les années qui suivent où sont imbriqués les traités, appelés traités de paix ce qui est loin d’être le cas, et les opérations militaires qui continuent. Le lecteur peut ainsi lire le livre par chapitre sans être jamais perdu. Le premier chapitre « Pourquoi la guerre ? » est de loin le plus novateur, bien qu’une assertion, p.22, sur Delcassé me semble en contradiction avec ce que j’ai lu récemment, donc à vérifier. Ce chapitre justifie le livre ; les chapitres suivants détaillent les années du conflit militaire en insistant sur les arrières des fronts et sur les événements militaires et civils de tous les belligérants ; cet ouvrage traite vraiment de la Première Guerre Mondiale : en dehors de l’Allemagne et de la France, les autres Etats ne sont pas négligés. Une autre observation en 1918, le général Pétain est en opposition, sur la tactique, avec le général Foch qui soutient les généraux routiniers d’où le désastre du Chemin des Dames, le détail n’est pas précisé. Le dernier chapitre surprendra la plupart des lecteurs lambda, mais ne peut être qu’apprécié fortement. Enfin la sensibilité de l’auteur perce par moment.
Cet ouvrage est recommandé, les qualités l’emportent de très loin sur quelques critiques.

Anatomie de la Bataille
John Keegan PERRIN 23 €

Ce très grand classique est enfin édité en français; pour qui a connu, même très peu, John Keegan décédé récemment, cet auteur reste vraiment à la pointe de la pyramide des historiens militaires. Cet ouvrage en est la preuve. Le titre français est une interprétation du titre anglais mais ne le trahit pas ; 5 chapitres, en 400 pages, qui à la limite peuvent être lus séparément, traitent du même sujet : comment les participants à une bataille peuvent-ils y risquer leur vie ou une mutilation grave, et comment ressentent-ils ce risque pendant, et après s’ils en réchappent ? Le premier chapitre est un essai sur la généralité des batailles et des combats. Qu’en disent les survivants ? L’historien peut-il en tirer des observations générales puis des conclusions ? Azincourt 1415, décrit la bataille d’après les chroniqueurs, il est surtout une suite de réflexions sur les différentes catégories de combattants à la fin de l’époque médiévale, quand l’ère chevaleresque est presque terminée. Waterloo 1815, trois siècles plus tard, marque la fin des batailles de l‘époque dite classique. Là, l’auteur dispose d’un très grand nombre de témoignages, majoritairement anglais, et montre que chaque expérience est individuelle. Les combats locaux, la discipline qui varie suivant les épisodes et les unités, les blessés, sont décrits tour à tour par les témoins surtout officiers, qui eux savent écrire. Ici, la bataille est vraiment celle des combattants bien que l’activité de Wellington soit retracée, et ce n’est pas celle à laquelle on croit. La Somme, 1er juillet 1916, se situe dans la première phase de l’ère industrielle pour les Européens. Les 100 pages de ce chapitre, bâti sur le même plan que le précédent - témoins et combats locaux, effets des armes, les blessés- commence par une description émouvante du vaste champ de bataille britannique en France, et l’analyse des origines des combattants et de leur inexpérience. Un siècle plus tard, et 40 ans après son écriture, cette image de la guerre des tranchées est toujours un modèle pour les historiens. Enfin le dernier chapitre, Les batailles de demain, est une réflexion sur les combats évoqués et sur ceux de la Deuxième Guerre Mondiale. Il a été écrit bien avant la fin de la Guerre Froide, il n’en garde pas moins un intérêt didactique. Pour conclure, on peut dire que cet ouvrage se lit très facilement et qu’il est d’une grande clarté, malgré la complexité des combats et des guerres.
La lecture de ce classique est indispensable tant aux historiens en tous genres qu’aux militaires de toute catégorie. Il est rare de trouver une étude aussi complète.

Alain J. ROUX

JOFFRE
Rémi Porte PERRIN 23 €

Rémy Porte est l’un des principaux historiens de la Première Guerre Mondiale : on peut lui faire confiance. La lecture attentive de sa biographie de Joffre surprendra le lecteur. On découvre la guerre de 1870-71, le travail sous l’égide de Séré de Rivières, surtout une expérience coloniale considérable en Afrique, en Indochine et à Madagascar. Un regret : cette partie est trop résumée pour ceux qui s’intéressent à cette épopée. Joseph Joffre officier du Génie, y pratique le combat interarmes, les « discussions » avec les autorités civiles, l’initiative du chef isolé. Le lecteur redécouvrira le premier libérateur de Tombouctou contre les marchands d’esclaves, le Tonkin, Formose, aujourd’hui Taïwan, la création de Diego Suarez à Madagascar sous l’égide de Gallieni. Revenu en Métropole dans une époque troublée, Joffre s’impose par sa réserve et sa capacité d’organisation. En moins de 10 ans ses responsabilités successives le propulsent à la tête de l’Armée après de fortes discussions politiques et doctrinales. Il faut réformer le commandement, les doctrines et l’armement, donc se heurter à de nombreux obstacles. Trois années sont trop courtes pour opérer le changement de tous les acteurs potentiels. Le général Joffre, peu expansif, mais instruit par son expérience coloniale va sur le terrain et rencontre les responsables politiques, dont le président Poincaré qui le soutient. Le début des opérations militaires en 1914 est traité au niveau du GQG en 50 pages, ce qui est peu étant donné les controverses ultérieures des acteurs et des historiens. Joffre voudrait conduire les opérations seul comme à son habitude mais ce n’est pas possible. Il doit tenir compte des Britanniques, des Russes, du manque de matériels dû aux « économies » imposées avant la guerre par les parlementaires qui l’attaqueront plus tard. Le chapitre La guerre sera courte pourrait être développé davantage. La bataille de la Marne est gagnée parce que Joffre a réagi rapidement, en une semaine. L’enlisement dans les tranchées s’explique par le manque de matériels modernes et adaptés; les attaques sanglantes, sans résultats, de 1915 sont justifiées par la nécessité de secourir la Russie qui, à défaut de victoires, neutralise une partie des effectifs ennemis. Les opérations de 1916 sont expliquées au niveau du généralissime en bute aux attaques politiques. Ce livre de 400 pages, facilement lisible, est certainement trop succinct pour le lecteur passionné, mais il signale le plus important pour la compréhension des événements militaires.
La lecture du Joffre de Rémy Porte s’impose avant de lire les nombreux ouvrages sur 14-18.

Alain J. ROUX

La désinformation autour de la fin de l’Indochine française
Paul Rignac L’étoile du Berger 22 €

Cet ouvrage résume les années tragiques que vécurent tous les habitants de l’Indochine française de 1939 à 1946. Les événements se succèdent toujours au détriment des populations : après un premier accord du général Catroux avec les Japonais en juin 1940, qui de ce fait est destitué par le premier gouvernement de Vichy, l’amiral Decoux, à la tête de l’Indochine isolée, essaie de la faire survivre, durant quatre longues années ; le coup de force japonais du 9 mars 1945 puis la « libération » achèvent de détruire l’Indochine française. L’attitude du Président De Gaulle qui refuse de connaître la réalité et envoie des agents divers, les Japonais vaincus qui encadrent le Viet-Minh, les dirigeants rooseveltiens aveugles, les Chinois pillards, tous sont hostiles aux Français peu nombreux .Pendant que la population essaie de survivre, se met ainsi en place ce qui deviendra la Guerre d’Indochine puis du Vietnam. En 200 pages l’auteur analyse les témoignages de nombreux acteurs et démolit des propagandes mensongères. Tout ce qu’il écrit est déjà bien connu des intéressés et des historiens spécialistes, mais ici nous avons un résumé des faits accompagné d’une bibliographie sérieuse qui cite les différents acteurs souvent hostiles les uns aux autres. Ce livre est facile à lire et surprendra plus d‘un lecteur.
La lecture de ce petit ouvrage est indispensable pour étudier ensuite la guerre d’Indochine.

Alain J. ROUX


Le Général de Langle de Cary
Un Breton dans la Grande Guerre
Guy Le Muel, Henri Ortholan Editions Charles Hérissey 20 €

Le général Fernand de Langle de Cary est beaucoup moins connu des Français que ses émules, Joffre, Foch, Pétain ou même le général de Castelnau. Lors du centenaire de 1914 Sa biographie est donc nécessaire. Fils d’un officier de Marine, major de sa promotion de Saint-Cyr en 1869, attaché au général Trochu, ce jeune officier est gravement blessé au combat de Buzenval. Il fait une carrière brillante au début de la 3ème République, et se retrouve général bien que catholique affiché, à l’instar de Foch et de Castelnau. En août 1914 il prend le commandement de la 4ème Armée. Ici commence la partie intéressante de l’ouvrage. Bien que certains de ses subordonnés entraînent leurs troupes dans des échecs sanglants comme le célèbre combat de Rossignol du 22 août au cours de la bataille des Ardennes, le commandant de la 4ème Armée réussit sa retraite et bloque l’ennemi sur la Meuse du 26 au 28 août, donc juste avant la bataille de Guise conduite par Lanrezac à sa gauche. De ces combats on parle très peu. Ensuite la retraite continue jusqu’à la bataille de la Marne à laquelle la 4ème participe brillamment. Cette partie est la plus intéressante de l’ouvrage car elle est traitée au niveau des grands états-majors et des échanges entre Joffre et de Langle de Cary , alors que les historiens mettent davantage l’accent sur le théâtre gauche de la bataille, Gallieni, Foch, Franchet d’Espérey. Pour gagner à gauche il fallait que le centre tienne. La seconde partie bien détaillée est celle des offensives de Champagne en 1915 où le général commande un groupe d’Armées. Là aussi le sujet est traité d’une façon inhabituelle, mais véritablement instructive. Enfin la dernière partie : le début de la bataille de Verdun, l’élimination du général de Langle de Cary, à la suite de grenouillages et de l’hostilité de nombreux parlementaires, est analysée avec les documents disponibles. La fin de la biographie est moins instructive à l’exception des pages sur les nominations des Maréchaux. Cette étude apporte beaucoup sur des épisodes très importants de 1914 à 1916, étudiés au niveau des grands responsables. Jusqu’à ces dernières années c’était fort rare. Des schémas clairs sont bien bienvenus.
Ce livre est nécessaire pour comprendre le début des opérations militaires de la guerre de 1914.

Alain J. ROUX

Le général de Castelnau 1851- 1944
Le Soldat, l’Homme, le Chrétien
Patrick de Gmeline Editions Charles Hérissey 45 €

Cet ouvrage imposant, composé par notre camarade Patrick de Gmeline, est autant une biographie qu’un album de photos avec des légendes très détaillées. Ce livre complète les biographies de cette poignée de généraux qui dirigèrent l’armée française dans une période difficile, et réussirent à emporter la victoire militaire malgré des pertes énormes et des lacunes initiales graves, ce qu’écrit, en juillet 1914, le général de Castelnau qui perdit lui-même trois fils au combat. Lieutenant puis capitaine en 1870, à 20 ans, officier aussi brillant que consciencieux, ce qui n’est pas si courant, devenu général malgré sa catholicité affichée dans la décennie 1900, le général de Castelnau devient illustre dans les combats de la Lorraine en août 1914, en particulier au Grand Couronné qui protège Nancy. En 1915 il coordonne la deuxième offensive de Champagne, échec encore discuté par les historiens, et en 1916, comme adjoint direct de Joffre, il agit au début de la bataille de Verdun où il précède Pétain. Ensuite il est mis dans un placard, relatif, et entre le premier à Colmar libéré, mais son courage intellectuel lui valut de ne pas être élevé à la dignité de Maréchal de France ce que l’auteur explique en détail. A la fin de sa longue vie, entouré de sa nombreuse famille, il se consacre à la Fédération Nationale Catholique qui regroupera jusqu’à trois millions de membres. Cet album se lit et se regarde par chapitre, tout y est instructif.
Il est bon qu’un des grands chefs de 14-18, véritable symbole des vieilles familles françaises, soit ainsi présenté dans toute son ampleur.

Alain J. ROUX




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