jeudi 12 juin 2014

Bibliographie


Hubert LE ROUX , Jean Lartéguy . Le dernier centurion , Paris , Tallandier , 2013 , 352 p . , 23 , 50 euros .
L’ auteur de ces lignes doit beaucoup à Lartéguy dont les chefs d’ œuvre ont passionné son adolescence , et regrette de ne pas lui avoir fait part de son admiration . Heureusement , Hubert Le Roux , officier et écrivain , fait revivre la magistrale figure d’ un journaliste de la trempe des Albert Londres , Joseph Kessel et Lucien Bodard . Jacques Chancel , dans sa belle préface , ne mâche pas ses mots : «  Nos soldats n’ ont pas été battus , ce sont les politiques français qui les ont massacrés « . L’ Indochine , encore et toujours …
De vieille souche lozérienne , Lucien Pierre Jean Osty est né en 1920 à Maisons – Alfort où son père Albert , sous – lieutenant d’ Alpins en 1916 , grièvement blessé en 1917 , tenait un café . Neveu du chanoine Emile Osty , dont la traduction de la Bible fait autorité , il a passé sa petite enfance au pays , près d’ Aumont – Aubrac , où Marie Osty , la Mamé , lui a révélé les secrets et les légendes de cette Margeride sur laquelle plane l’ ombre sanglante de la Bête du Gévaudan . Mis par son père chez les Jésuites à la suite d’ une fugue , il y fait de solides études classiques et obtient le premier prix d’ histoire au concours général .
Bachelier , il s’ engage en Novembre 1939 au 155e R.I. d’ Avignon . Admis à Saint – Cyr au printemps 1940 , puis démobilisé , il suit à Toulouse les cours du médiéviste Joseph Calmette et du philosophe Vladimir Jankélévitch . Evadé de France et passé en Espagne en 1942 , il souffre de la faim et de la poitrine au camp de Miranda de Ebro . En 1943 , il est autorisé à gagner le Maroc via le Portugal .Sorti de l’ Ecole de Cherchell chef de section d’ infanterie et du génie , il rejoint en 1944 les commandos d’ Afrique et débarque à Marseille libérée .Il se fait des amis , Jean Delvigne , Paul Ducournau , Alexandre Sanguinetti et Louis Laguilharre dit l’ Amiral avec qui il trouve son futur nom de plume , «  Lartéguy « . Les Vosges , Belfort , l’ Alsace : l’ aspirant Osty est décoré et cité . Sous – lieutenant en Décembre 1945 , il quitte néanmoins l’ armée .
Il fait ses débuts de journaliste en 1947 en Iran où , informateur de la D.G.E.R. , il rencontre le Chah . En 1951 , il part en Corée pour Paris – Presse – L’ Intransigeant et sert comme lieutenant au Bataillon de Corée commandé par Monclar . Grièvement blessé sur la cote 851 – opération Crèvecoeur - , le 12 Octobre , il est hospitalisé à Tokyo et découvre le Japon . Les récits d’ anciens Kamikaze lui inspirent «  Ces voix qui nous viennent de la mer «  , paru en 1954 ; il racontera l’ Espagne , la Perse et la Corée dans «  Les Mercenaires «  ( 1960 )
Après la mort de Staline et l’ armistice coréen , Paris – Presse envoie Lartéguy à Hanoï où Cogny met en place l’ opération Castor du 20 Novembre 1953 sur Diên Biên Phu . Il est au contact des Viets , dans la jungle . Une fois le désastre consommé , son diagnostic est sans appel : le C.E.F.E.O. n’ a pas été vaincu mais trahi par des politiciens sans envergure et une métropole pour qui la bagnole et les congés payés comptent plus que le maintien de l’ Union Française , sans oublier l’ action haineuse et inlassable du P.C.F. en faveur du Vietminh . En Septembre 1954 il assiste à la libération des rescapés des camps de la mort communistes et à la prise en main d’ Hanoï par les «  canbô «  et les «  bodoï «  . La guerre subversive marxiste – léniniste a permis la revanche de l’ Asie sur l’ Europe . Les certitudes des officiers français vacillent : le «  jeu maudit «  , selon le mot de De Lattre à Salan , va t – il continuer ailleurs ? Spectateur de la guerre des Sectes à Saïgon ( 1955 ) , Lartéguy en retracera les péripéties dans «  Soldats perdus et fous de Dieu «  ( 1986 ) , et son périple chez les Méos du Laos sera à l’ origine des «  Tambours de bronze «  ( 1969 ) .
Dans le chapitre V , «  L’ engrenage algérien «  , l’ auteur parle longuement de la «  question «  et cite des extraits de l’ interview de Djamila Bouhired , Djemila Bouazza , Zohra Drif et du capitaine Graziani par Lartéguy , parue dans «  L’ Echo d’ Alger «  en Avril 1958 . Deux erreurs sont toutefois à relever , p . 159 : Yacef Saadi n’ a pas été torturé après sa capture , et p . 162 : «  En 1966 , de Gaulle fera d «  ailleurs voter au Parlement une amnistie générale… ». Non , car les derniers condamnés de l’ O.A.S. ne seront libérés qu’ en Juin 1968 . En 1959 , ses conversations avec Jean Pouget , héros de Diên Biên Phu et auteur du «  Manifeste du camp n° 1 «  inspirent à Jean Lartéguy , installé à Saint – Cézaire – sur – Siagne , un roman qui , publié en 1960 , demeure un best – seller : «  Les Centurions « . Les personnages sont devenus légendaires : Raspéguy ( Bigeard ) , Esclavier ( Graziani ? ) , Glatigny ( Pouget ) , Marindelle , Boisfeuras ( Aussaresses ) , Mahmoudi , Dia… Cette geste des paras , «  lézards «  , «  léopards «  , «  hommes – loups «  ( Jean Brune ) sera transposée à l’ écran par Mark Robson , mais le film est loin d’ égaler «  La 317e section «  ou «  Le Crabe – Tambour «  . Le public américain redécouvre le livre dans les années 2000 grâce aux généraux Petraeus et Mc Chrystal , lecteurs de David Galula , lui – même disciple du colonel Trinquier .
Devenu célèbre , Lartéguy se marie en 1960 avec Victoria Llanso qui lui donnera deux filles , Ariane et Diane . Il refuse de s’ engager pour ou contre l’ O.A.S. qui , peu sensible aux nuances , plastique son appartement parisien . «  Les Prétoriens « ( 1961 ) , «  Le Mal jaune « ( 1962 ) et «  Les Chimères noires «  ( 1963 ) , qui campent en trois personnages , Kreis , Fonts et La Roncière , les «  Affreux «  du Katanga sont parmi ses meilleurs livres . Le 25 septembre 1965 ; il fait la «  Une «  de «  Paris Match «  avec un reportage qui constitue un des sommets de sa carrière : «  Notre Indochine dix ans après « ; une photo poignante y figure , un coup au cœur pour le lecteur : à Diên Biên Phu , le drapeau est amené…
Désormais globe – trotter de la guerre , Lartéguy publie «  Un million de dollars le Viet «  ( 1965 ) , «  Les Guérilleros «  ( 1967 ) sur l’ Amérique latine à l’ heure des brasiers , Fidel Castro et le «  Che «  , «  Les Murailles d’ Israël «  ( 1968 ) , préfacé par Moshé Dayan , «  Tou homme est une guerre civile « ( 1970 ) , «  Voyage au bout de la guerre «  ( 1971 ) , «  L’ Adieu à Saïgon «  ( 1975 ) , «  La Guerre nue «  ( 1976 ) . Divorcé en 1968 , il se remarie avec Thérèse Lauriol , sœur du député d’ Alger . A partir de 2005 , les séquelles de sa maladie de poitrine le font admettre aux Invalides . Il travaille à son dernier manuscrit , «  Le Prince des années mortes « . Le 22 Février 2011 , le baroudeur s’ éteint et rejoint la longue cohorte des guerriers des rizières et des djebels , qui chantaient : «  Souvenir d’ un vieux copain / Décapité par les Indiens / Souvenir d’ une brave fille / Partie pour faire la putain… » ( Le Mal jaune ) .
«  La guerre , il y a ceux qui la font ou l’ ont faite . Et les autres . « 
Que ce livre émouvant , bien illustré et documenté donne envie , surtout aux jeunes , de lire et de relire les pages immortelles consacrées par Jean Lartéguy aux troupes de choc , c’ est tout ce que l’ on peut souhaiter .
Michel Loustau 

Pervillé Guy. Oran, 5 juillet 1962. Leçon d'histoire sur un massacre.
Vendémiaire, 2014, 317 pages, 20 euros
Cet ouvrage est une mise au point sur le massacre de près de 700 Européens d'Oran le 5 juillet 1962, massacre largement occulté par les médias et les autorités politiques, alors que la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris, 100 fois moins meurtrière (30 tués en comptant large) fait l'objet de commémorations officielles et de publications médiatiques et cinématographiques.
L'auteur a choisi la voie de l'historiographie, il analyse selon un plan chronologique tout ce qui a été dit et écrit par près de quarante témoins, acteurs, journalistes et historiens : - l'exhumation des faits avant l'ouverture des archives (1992) – les interventions tumultueuses de 1992 à 2000 – l'apport décisif des historiens de 2000 à 2013.
Le massacre du 5 juillet fait suite à des alternances de violence et de calme. La ville d'Oran a subi le terrorisme FLN de 1956 à 1958, puis a connu un calme certain jusqu'à la recrudescence de cette violence en août 1960. En réaction aux attentats de l'OAS de 1962, le FLN lance en avril le terrorisme silencieux des enlèvements.
Les chapitres chronologiques appellent une lecture critique : ils reproduisent de longues citations des auteurs, qui seront contredites quelques pages suivantes. Ainsi le général Katz est-il contredit par Alain-Gérard Slama et le consul Herly, la thèse de JF Paya critiquée par Jean Monneret, et les vérités de Benhamou démolies par Meynier et Harbi. Deux historiens algériens, Rouina et Soufi, approuvent les décisions du capitaine Bakhti et du préfet Souaiah, sans pouvoir faire référence à des archives inexistantes.
Dans sa conclusion , Guy Pervillé essaie de comprendre ce qu'ont été les responsabilités des acteurs, en levant les tabous de l'histoire officielle :
  • en dépit de l'admiration d'Ageron, l'aveuglement du général Katz ne fait aucun doute ; son incrimination de l'OAS n'est sans doute pas retenue par les Algériens, mais on ne peut écarter le désir de vengeance des quartiers musulmans,
  • le capitaine Bakhti accuse le brigand Attou, responsable des atrocités du petit lac, mais Bakhti a-t-il tout dit, était-il l'exécutant de Boumediene ou du GPRA ? N'est-il pas le promoteur de la campagne d'enlèvements ? Attou a-t-il été exécuté ?
  • Boumediene a atteint son but d'élimination du GPRA, mais rien ne prouve qu'il a provoqué les violences du 5 juillet ;
  • la thèse du soutien de Ben Bella par le général de Gaulle ne tient pas ; ses directives montrent qu'il privilégiait la neutralité face aux responsables algériens ; sans doute condamnait-il les initiatives de reprise du combat, mais il n'est pas établi qu'il aît donné des ordres à Katz le 5 juillet ;
  • le GPRA a-t-il fait preuve d'imprévoyance en promouvant les célébrations de l'indépendance, alors que Saad Dahlab avait promis qu'on attendrait le 6 juillet ? Ce point n'est pas clair et de nouvelles recherches paraissent souhaitables.
Une recension ne peut tout dire, elle ne peut que conseiller une lecture attentive de cette historiographie , un modèle du genre, complété par tout l'appareil scientifique des notes, des cartes, des sources et de l'index des noms.
Maurice Faivre, le 31 mai 2014

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