Hubert
LE ROUX , Jean Lartéguy . Le dernier centurion , Paris ,
Tallandier , 2013 , 352 p . , 23 , 50 euros .
L’
auteur de ces lignes doit beaucoup à Lartéguy dont les
chefs d’ œuvre ont passionné son adolescence , et regrette
de ne pas lui avoir fait part de son admiration .
Heureusement , Hubert Le Roux , officier et écrivain , fait
revivre la magistrale figure d’ un journaliste de la trempe
des Albert Londres , Joseph Kessel et Lucien Bodard . Jacques
Chancel , dans sa belle préface , ne mâche pas ses mots :
« Nos soldats n’ ont pas été battus , ce sont les
politiques français qui les ont massacrés « . L’
Indochine , encore et toujours …
De
vieille souche lozérienne , Lucien Pierre Jean Osty est né
en 1920 à Maisons – Alfort où son père Albert , sous –
lieutenant d’ Alpins en 1916 , grièvement blessé en 1917 ,
tenait un café . Neveu du chanoine Emile Osty , dont la
traduction de la Bible fait autorité , il a passé sa petite
enfance au pays , près d’ Aumont – Aubrac , où Marie Osty ,
la Mamé , lui a révélé les secrets et les légendes de
cette Margeride sur laquelle plane l’ ombre sanglante de la
Bête du Gévaudan . Mis par son père chez les Jésuites à
la suite d’ une fugue , il y fait de solides études
classiques et obtient le premier prix d’ histoire au concours
général .
Bachelier
, il s’ engage en Novembre 1939 au 155e
R.I. d’ Avignon . Admis à Saint – Cyr au printemps 1940 ,
puis démobilisé , il suit à Toulouse les cours du
médiéviste Joseph Calmette et du philosophe Vladimir
Jankélévitch . Evadé de France et passé en Espagne en 1942
, il souffre de la faim et de la poitrine au camp de
Miranda de Ebro . En 1943 , il est autorisé à gagner le
Maroc via le Portugal .Sorti de l’ Ecole de Cherchell chef
de section d’ infanterie et du génie , il rejoint en 1944
les commandos d’ Afrique et débarque à Marseille libérée
.Il se fait des amis , Jean Delvigne , Paul Ducournau ,
Alexandre Sanguinetti et Louis Laguilharre dit l’ Amiral
avec qui il trouve son futur nom de plume , « Lartéguy
« . Les Vosges , Belfort , l’ Alsace : l’ aspirant
Osty est décoré et cité . Sous – lieutenant en Décembre
1945 , il quitte néanmoins l’ armée .
Il
fait ses débuts de journaliste en 1947 en Iran où ,
informateur de la D.G.E.R. , il rencontre le Chah . En 1951 ,
il part en Corée pour Paris – Presse – L’ Intransigeant
et sert comme lieutenant au Bataillon de Corée commandé
par Monclar . Grièvement blessé sur la cote 851 – opération
Crèvecoeur - , le 12 Octobre , il est hospitalisé à Tokyo
et découvre le Japon . Les récits d’ anciens Kamikaze lui
inspirent « Ces voix qui nous viennent de la mer «
, paru en 1954 ; il racontera l’ Espagne , la Perse et
la Corée dans « Les Mercenaires « ( 1960 )
Après
la mort de Staline et l’ armistice coréen , Paris –
Presse envoie Lartéguy à Hanoï où Cogny met en place l’
opération Castor du 20 Novembre 1953 sur Diên Biên Phu .
Il est au contact des Viets , dans la jungle . Une fois le
désastre consommé , son diagnostic est sans appel : le
C.E.F.E.O. n’ a pas été vaincu mais trahi par des
politiciens sans envergure et une métropole pour qui la
bagnole et les congés payés comptent plus que le maintien
de l’ Union Française , sans oublier l’ action haineuse
et inlassable du P.C.F. en faveur du Vietminh . En Septembre
1954 il assiste à la libération des rescapés des camps
de la mort communistes et à la prise en main d’ Hanoï
par les « canbô « et les « bodoï «
. La guerre subversive marxiste – léniniste a permis la
revanche de l’ Asie sur l’ Europe . Les certitudes des
officiers français vacillent : le « jeu maudit «
, selon le mot de De Lattre à Salan , va t – il continuer
ailleurs ? Spectateur de la guerre des Sectes à Saïgon
( 1955 ) , Lartéguy en retracera les péripéties dans «
Soldats perdus et fous de Dieu « ( 1986 ) , et son
périple chez les Méos du Laos sera à l’ origine des «
Tambours de bronze « ( 1969 ) .
Dans
le chapitre V , « L’ engrenage algérien « , l’
auteur parle longuement de la « question « et cite
des extraits de l’ interview de Djamila Bouhired , Djemila
Bouazza , Zohra Drif et du capitaine Graziani par Lartéguy ,
parue dans « L’ Echo d’ Alger « en Avril 1958
. Deux erreurs sont toutefois à relever , p . 159 : Yacef
Saadi n’ a pas été torturé après sa capture , et p .
162 : « En 1966 , de Gaulle fera d « ailleurs
voter au Parlement une amnistie générale… ». Non , car
les derniers condamnés de l’ O.A.S. ne seront libérés
qu’ en Juin 1968 . En 1959 , ses conversations avec Jean
Pouget , héros de Diên Biên Phu et auteur du «
Manifeste du camp n° 1 « inspirent à Jean Lartéguy ,
installé à Saint – Cézaire – sur – Siagne , un roman qui
, publié en 1960 , demeure un best – seller : «
Les Centurions « . Les personnages sont devenus
légendaires : Raspéguy ( Bigeard ) , Esclavier ( Graziani ?
) , Glatigny ( Pouget ) , Marindelle , Boisfeuras ( Aussaresses ) ,
Mahmoudi , Dia… Cette geste des paras , « lézards «
, « léopards « , « hommes – loups « (
Jean Brune ) sera transposée à l’ écran par Mark Robson
, mais le film est loin d’ égaler « La 317e
section « ou « Le Crabe – Tambour « . Le
public américain redécouvre le livre dans les années 2000
grâce aux généraux Petraeus et Mc Chrystal , lecteurs de
David Galula , lui – même disciple du colonel Trinquier .
Devenu
célèbre , Lartéguy se marie en 1960 avec Victoria Llanso
qui lui donnera deux filles , Ariane et Diane . Il refuse de
s’ engager pour ou contre l’ O.A.S. qui , peu sensible
aux nuances , plastique son appartement parisien . « Les
Prétoriens « ( 1961 ) , « Le Mal jaune « ( 1962
) et « Les Chimères noires « ( 1963 ) , qui
campent en trois personnages , Kreis , Fonts et La Roncière ,
les « Affreux « du Katanga sont parmi ses
meilleurs livres . Le 25 septembre 1965 ; il fait la «
Une « de « Paris Match « avec un reportage
qui constitue un des sommets de sa carrière : «
Notre Indochine dix ans après « ; une photo poignante y
figure , un coup au cœur pour le lecteur : à Diên
Biên Phu , le drapeau est amené…
Désormais
globe – trotter de la guerre , Lartéguy publie « Un
million de dollars le Viet « ( 1965 ) , « Les
Guérilleros « ( 1967 ) sur l’ Amérique latine à l’
heure des brasiers , Fidel Castro et le « Che « ,
« Les Murailles d’ Israël « ( 1968 ) , préfacé
par Moshé Dayan , « Tou homme est une guerre civile «
( 1970 ) , « Voyage au bout de la guerre « ( 1971
) , « L’ Adieu à Saïgon « ( 1975 ) , « La
Guerre nue « ( 1976 ) . Divorcé en 1968 , il se remarie
avec Thérèse Lauriol , sœur du député d’ Alger . A
partir de 2005 , les séquelles de sa maladie de poitrine le
font admettre aux Invalides . Il travaille à son dernier
manuscrit , « Le Prince des années mortes « . Le
22 Février 2011 , le baroudeur s’ éteint et rejoint la
longue cohorte des guerriers des rizières et des djebels ,
qui chantaient : « Souvenir d’ un vieux copain /
Décapité par les Indiens / Souvenir d’ une brave fille
/ Partie pour faire la putain… » ( Le Mal jaune ) .
«
La guerre , il y a ceux qui la font ou l’ ont faite . Et
les autres . «
Que
ce livre émouvant , bien illustré et documenté donne envie
, surtout aux jeunes , de lire et de relire les pages
immortelles consacrées par Jean Lartéguy aux troupes de
choc , c’ est tout ce que l’ on peut souhaiter .
Michel Loustau
Pervillé Guy. Oran, 5 juillet 1962. Leçon d'histoire sur un
massacre.
Vendémiaire, 2014, 317
pages, 20 euros
Cet ouvrage est une mise au point sur le massacre de près de
700 Européens d'Oran le 5 juillet 1962, massacre largement occulté
par les médias et les autorités politiques, alors que la
manifestation du 17 octobre 1961 à Paris, 100 fois moins meurtrière
(30 tués en comptant large) fait l'objet de commémorations
officielles et de publications médiatiques et cinématographiques.
L'auteur a choisi la voie de l'historiographie, il analyse
selon un plan chronologique tout ce qui a été dit et écrit par
près de quarante témoins, acteurs, journalistes et historiens :
- l'exhumation des faits avant l'ouverture des archives (1992) –
les interventions tumultueuses de 1992 à 2000 – l'apport décisif
des historiens de 2000 à 2013.
Le massacre du 5 juillet fait suite à des alternances de
violence et de calme. La ville d'Oran a subi le terrorisme FLN de
1956 à 1958, puis a connu un calme certain jusqu'à la recrudescence
de cette violence en août 1960. En réaction aux attentats de l'OAS
de 1962, le FLN lance en avril le terrorisme silencieux des
enlèvements.
Les chapitres chronologiques appellent une lecture critique :
ils reproduisent de longues citations des auteurs, qui seront
contredites quelques pages suivantes. Ainsi le général Katz est-il
contredit par Alain-Gérard Slama et le consul Herly, la thèse de JF
Paya critiquée par Jean Monneret, et les vérités de Benhamou
démolies par Meynier et Harbi. Deux historiens algériens, Rouina et
Soufi, approuvent les décisions du capitaine Bakhti et du préfet
Souaiah, sans pouvoir faire référence à des archives inexistantes.
Dans sa conclusion , Guy Pervillé essaie de comprendre ce
qu'ont été les responsabilités des acteurs, en levant les tabous
de l'histoire officielle :
- en dépit de l'admiration d'Ageron, l'aveuglement du général Katz ne fait aucun doute ; son incrimination de l'OAS n'est sans doute pas retenue par les Algériens, mais on ne peut écarter le désir de vengeance des quartiers musulmans,
- le capitaine Bakhti accuse le brigand Attou, responsable des atrocités du petit lac, mais Bakhti a-t-il tout dit, était-il l'exécutant de Boumediene ou du GPRA ? N'est-il pas le promoteur de la campagne d'enlèvements ? Attou a-t-il été exécuté ?
- Boumediene a atteint son but d'élimination du GPRA, mais rien ne prouve qu'il a provoqué les violences du 5 juillet ;
- la thèse du soutien de Ben Bella par le général de Gaulle ne tient pas ; ses directives montrent qu'il privilégiait la neutralité face aux responsables algériens ; sans doute condamnait-il les initiatives de reprise du combat, mais il n'est pas établi qu'il aît donné des ordres à Katz le 5 juillet ;
- le GPRA a-t-il fait preuve d'imprévoyance en promouvant les célébrations de l'indépendance, alors que Saad Dahlab avait promis qu'on attendrait le 6 juillet ? Ce point n'est pas clair et de nouvelles recherches paraissent souhaitables.
Une recension ne peut tout dire, elle ne peut que conseiller une
lecture attentive de cette historiographie , un modèle du genre,
complété par tout l'appareil scientifique des notes, des cartes,
des sources et de l'index des noms.
Maurice Faivre, le 31 mai 2014
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